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Le gouvernement de fait n'est alors qu'un gouvernement local. Toute guerre civile un peu prolongée aboutit nécessairement à la création d'un gouvernement de ce type qui dispute le pouvoir à l'autorité régulière. Mais, ce qui est curieux, c'est que le gouvernement légal, tout en conservant en droit son ancienne autorité, devient, en fait, lui aussi, un gouvernement local. Sa puissance d'action limitée par celle de son antagoniste se restreint aux bornes du territoire qu'il occupe réellement. La fiction du jus postliminsi est admise, il est vrai, en sa faveur s'il parvient à triompher. Mais pendant toute la durée de la guerre, la nation ne possède plus de gouvernement général et se divise entre deux gouvernements locaux.

Tels sont les deux types de gouvernements de fait auxquels une guerre civile peut donner naissance. Il nous reste à déterminer dans quelle mesure ces gouvernements peuvent représenter l'Etat et exercer son pouvoir souverain; quelle est leur capacité juridique, spécialement au point de vue des relations extérieures.

127. Lorsque la révolution amène la complète disparition du gouvernement légal, et met à sa place un gouvernement de fait général; lorsque la nation accepte et ratifie tacitement le nouvel ordre de choses; que les troubles, loin de s'aggraver et de dégénérer en guerre civile, vont en s'apaisant; que le temps enfin semble consolider plutôt que menacer l'existence du gouvernement nouveau, aucune hésitation n'est permise aux Puissances étrangères: elles doivent considérer ce gouvernement comme l'organe exprimant la souveraineté de l'Etat et entrer en rapports avec lui. Cette manière de voir a toujours été adoptée par la pratique européenne ; les Puissances ont traité successi

vement en Angleterre avec Cromwell, avec le roi Charles II; et plus tard, après la chute de Jacques II, avec le roi Guillaume III. En France elles ont pareillement noué des relations avec les gouvernements du Directoire, de Napoléon Ier, de Louis XVIII, de Louis-Philippe, de la République de 1848, de Napoléon III et de la Défense nationale.

Deux raisons, l'une de droit, l'autre de fait, justifient et nécessitent cette conduite.

En droit, nous l'avons déjà dit, les changements gouvernementaux n'influent en rien ni sur la personnalité juridique de l'Etat, ni sur ses relations extérieures. Les Puissances doivent reconnaître le gouvernement existant, quel qu'il soit, dès l'instant qu'il est régulièrement organisé et accepté par la nation. Elles n'ont pas à examiner la question de légalité constitutionnelle, et ne pourraient le faire sans commettre un acte d'injustifiable intervention. Qu'on se souvienne de la Sainte Alliance (1).

De là ce principe, consacré par de nombreux traités, qu'on peut valablement traiter avec un usurpateur, même si le gouvernement légitime vient à être postérieurement rétabli. Tout engagement pris par un gouvernement général, de

(1)

Dans ses relations avec les Puissances étrangères (écrivait en 1848 M. Buchanan, secrétaire d'Etat des Etats-Unis, au sujet de la reconnaissance de la République française), dans ses relations avec les Puissances étrangères, le gouvernement des Etats-Unis a toujours reconnu dès leur origine les gouvernements de fait. Nous reconnaissons à toutes les nations le droit de créer et de réformer leurs institutions politiques selon leur propre volonté, leur propre convenance. Nous ne suivons pas le gouvernement existant pour nous engager dans la question de la légitimité. Il nous suffit de savoir qu'il existe un gouvernement capable de se maintenir, et alors la reconnaissance de notre part est inévitable (Wiesse, p. 239).

fait ou de droit, oblige le gouvernement qui lui succède (1). Il est d'ailleurs impossible en fait de trouver une autre solution. Tout Etat civilisé doit être représenté par un gouvernement dans ses relations extérieures; le gouvernement est une des conditions même d'existence de l'Etat ; celui-ci retomberait au rang de simple peuplade et perdrait toute personnalité juridique si on le privait de cet organe. Un Etat sans gouvernement est aussi impossible à concevoir qu'un homme sans tête. Or, pendant toute la période d'existence du gouvernement de fait période qui peut être longue, puisque le gouvernement de la Défense nationale a duré cinq ans quel pourra être l'organe juridique incarnant la souveraineté de l'Etat, administrant les affaires intérieures et présidant aux relations extérieures ? gouvernement légal? Mais il est mort, anéanti, inexistant; et si ses partisans conservent quelques prétentions à la légitimité, ce ne sont plus que des prétentions platoniques?

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L'ancien

Le futur gouvernement légal, celui qui doit succéder au gouvernement de fait? Mais il n'est pas encore né.

La conclusion s'impose : le gouvernement de fait a seul qualité pour représenter l'Etat et agir en son nom; ses actes ont la même valeur que ceux d'un gouvernement de droit; les Puissances étrangères doivent le reconnaitre et entrer en relations avec lui aussitôt que la période de troubles révolutionnaires est terminée.

128. La question devient plus délicate lorsqu'il s'agit d'un gouvernement de fait local. La volonté nationale ne peut plus servir de base d'appréciation, puisque la nation

(1) Ce principe rencontra cependant une violente contradiction dans le sein de la Convention; un des membres de l'Assemblée, Bissot, déclara que les traités conclus par les tyrans ne liaient pas la France (V. Martens, Traité, t. I, § 26).

est divisée en deux factions adverses, et que la guerre civile témoigne de l'ardeur de leurs convictions contradictoires. Il y a deux partis, il y a deux gouvernements; on se demande parfois s'il n'y a pas deux Etats en présence, et si la souveraineté de la nation ne s'est pas fractionnée.

Cette dernière opinion était enseignée par les anciens auteurs du droit des gens. Grotius pose en principe qu'une nation victime de la guerre civile ou mixte comme il l'appelle doit être considérée après un certain temps. comme formant deux nations. La même idée est reprise et développée par Vattel: « La guerre civile, dit ce dernier, rompt les liens de la société et du gouvernement, ou elle en suspend au moins l'effet. Elle donne naissance dans la nation à deux partis indépendants qui se regardent comme ennemis et ne reconnaissent aucun juge commun. Il faut donc de nécessité que ces deux partis soient considérés comme formant, au moins pour un temps, deux corps séparés, deux peuples différents. Que l'un des deux ait eu tort de rompre l'unité de l'Etat, de résister à l'autorité légitime, ils n'en sont pas moins divisés en fait.

« D'ailleurs qui les jugera, qui prononcera de quel côté se trouvera le tort ou la justice? Ils n'ont point de supérieur commun sur la terre. Ils sont donc dans le cas de deux nations qui entrent en contestation, et qui, ne pouvant s'accorder, ont recours aux armes » (1).

En d'autres termes toute guerre civile produirait les effets d'une véritable sécession et ferait naître deux personnes juridiques là où une seule existait précédemment (2).

(1) Vattel, l. III, ch. xvi, § 293. Vattel conclut de ces prémisses que les Etats étrangers ont le droit d'assister le parti qui leur paraît fondé en justice, et Wheaton reprend textuellement cette doctrine (Eléments, part. I, ch. 1, p. 34).

(2) La Révolution ne rompt pas en fait l'unité de l'Etat ipso facto.

Il est certain qu'au point de vue de la souveraineté interue, on ne peut plus considérer les deux partis en lutte comme relevant d'un même groupement politique. C'est ce que les doctrines modernes expriment en disant que les rebelles forment une personne morale, une communauté belligérante. Mais il est tout à fait excessif de considérer les dits rebelles comme formant un Etat indépendant et souverain. La reconnaissance de belligérance les habilite à exercer certains droits; elle ne leur confère pas la souveraineté. Au-dessus de ces divisions qui n'atteignent pas la souveraineté interne, subsiste intacte dans son unité la personnalité internationale de l'Etat.

C'est seulement lorsque le gouvernement rebelle a proclamé l'indépendance de son territoire et l'a assurée par la force, lorsque le rétablissement de la paix a laissé présumer que la mère patrie acceptait la sécession, que les Etats étrangers peuvent songer à reconnaître l'indépendance du nouvel Etat qui vient de naître. Jusqu'à cette consécration définitive du fait accompli, jusqu'à la complète terminaison des luttes intérieures, ils doivent considérer l'Etat troublé comme toujours un et souverain. Ces principes sont ceux que les grandes Puissances ont toujours appliqués, lorsqu'elles eurent à reconnaître l'indépendance des Pays

Toutefois, si, par suite de la persistance de la lutte et de l'opposi tion des forces, l'ancien organisme en fait est rompu, et s'il est constitué deux gouvernements qui exercent les fonctions et les pouvoirs de l'Etat, la personnalité de celui-ci doit provisoirement être considérée comme divisée en deux, sauf à convertir cette situation provisoire en définitive lorsque se réaliseront la reconnaissance et la séparation du nouveau gouvernement, ou la soumission du parti révolté et la reconstitution de l'ancien gouvernement (Fiore, Op. cit., 1. III, ch. 1, §§ 330, 331, t. I, p. 288).

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