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Ils serait digne des hommes, chargés de diriger la haute administration des États, la politique de leur pays, et la moralité des peuples, d'ériger en maxime du droit des gens la pensée noble et haute, grande et généreuse qu'exprima, en 1746, le gouverneur de la Havane.

Le capitaine Edwards, commandant du vaisseau de guerre anglais l'Elisabeth, qu'une tempête avait forcé de relâcher dans le port de la Havane, dans l'ile de Cuba, en 1746, se considérait comme prisonnier, ainsi que son équipage, et il se disposait à remettre son épée au gouverneur ; celui-ci la refusa, en faisant cette réponse qu'on ne saurait trop louer: «Si nous vous avions « pris en combattant en pleine mer ou sur nos côtes, votre vais<«<seau nous appartiendrait et vous seriez nos prisonniers; mais « battus par la tempête, c'est la crainte du naufrage qui vous « a jetés dans ce port: j'oublie donc et je dois oublier que ma << nation est en guerre avec la vôtre. Vous êtes des hommes et << nous aussi ; vous êtes malheureux et nous vous devons pitié. « Déchargez votre vaisseau et faites le réparer en toute assurance; « vendez même, ici, ce qui vous sera nécessaire pour acquitter « les dépenses que vous ferez. Vous partirez ensuite, et je vous << donnerai un passeport jusqu'au-delà des Bermudes. Si vous êtes « pris après avoir passé ce terme, le droit de la guerre vous aura << mis dans nos mains; mais, en ce moment, je ne vois en vous << que des étrangers pour qui l'humanité réclame des secours. »

§ 5.

Prise d'un bâtiment entrant en relâche volontaire, le capitaine ignorant l'état de guerre.

Un capitaine de la marine commerciale anglaise, du nom d'Inglis, ignorant que le fort San Fernando d'Omoa 1) était tombé entre les mains des Espagnols, en 1780, y entra sans défiance et y jeta l'ancre avec autant de calme et de tranquillité que s'il eût encore appartenu aux Anglais.

Certes, puisque les gouvernements n'ont pas rayé du Code des nations maritimes le droit sauvage de pouvoir faire prisonnier un bâtiment que les hazards d'une tempête ont livré, on ne doit pas s'étonner qu'ils aient conservé également le droit d'abuser de la bonne foi d'un capitaine qui se livre à l'ennemi, par ignorance,

1) Fort et port de mer de la province de Honduras.

quand il croit être venu jeter l'ancre dans un port ami: quand on profite du naufrage accompli, ou de la nécessité dans laquelle s'est trouvé un bâtiment de venir, pour l'éviter, réclamer la protection d'un port, on peut, dit-on, tout aussi bien profiter de l'erreur.

Ce ne fut point l'opinion de l'officier espagnol qui commandait, en 1780, dans le fort San Fernando d'Omoa; il suivit le noble et généreux exemple qu'avait donné le gouverneur de la Havane, en 1746.

Loin de profiter de l'erreur, il eut la générosité de laisser le capitaine anglais séjourner pendant trois jours dans le port, afin que celui-ci eût le temps de renouveler les provisions de bouche de son équipage et de se pourvoir des approvisionnements divers dont il avait besoin pour se rendre à la Jamaïque.

La conduite tenue, dans ces deux circonstances, par les deux officiers espagnols, est tout à la gloire de leur nation et aurait dù faire appel aux sentiments d'honneur et d'équité des hommes d'État chargés de donner des lois à leur pays. Cette noble conduite des deux officiers espagnols devrait porter tous les gouvernements à écrire dans leur code, «qu'il n'y aura pas lieu de «s'emparer, en temps de guerre, d'un navire ennemi jeté sur la « côte pur la tempête, ou qui entre en relâche forcée par suite << des vents ou de l'état de la mer, ou qui se présente volontai<rement, avec confiance, dans un port qu'il croit ami, dans «l'ignorance où il est que ce port a changé de maîtres; une «nation civilisée ne pouvant profiter ni du malheur ni de l'erreur, en pareille circonstance. »>

La conduite loyale des deux officiers espagnols rappelle celle que tint Duquesne, lieutenant-général des armées navales de France, ainsi que les nobles paroles qu'il prononça dans une circonstance que le lecteur nous saura peut-être gré de rapporter, bien qu'elle n'ait aucun rapport avec la mer territoriale.

Après la défaite des Hollandais dans le golfe de Catane, et la mort de Ruyter (survenue quelques jours après, des suites de ses blessures, à Syracuse, le 26 avril 1676), son cœur fut mis sur une frégate qui devait le transporter en Hollande. Cette frégate tomba entre les mains des Français. Le capitaine fut conduit devant Duquesne et lui présenta son épée. Duquesne ne voulut point la recevoir. Il passa sur le bâtiment hollandais et entra dans la chambre où était déposé le cœur de son illustre adversaire; et s'approchant avec émotion et respect, de la boite qui le renfermait, il éleva les mains vers le ciel en disant : «Voilà les restes d'un grand

<«< homme; il a trouvé la mort au milieu des hazards qu'il a tant << de fois bravés. » Puis se retournant vers le commandant hollandais. «< Allez, Monsieur », dit-il, «votre mission est trop res<«<pectable pour que l'on vous arrête ! »

La frégate hollandaise continua sa route sous la sauvegarde de l'amiral français.

Duquesne et Ruyter étaient les deux plus grands marins du 17e siècle; on entendit souvent dire au célèbre amiral hollandais: « Je ne crains au monde qu'un homme de mer, c'est M. Duquesne. >> 1)

§ 6.

Bâtiment français entré en relâche volontaire dans un port que le capitaine ignorait être tombé au pouvoir de l'ennemi.

A l'époque où le capitaine anglais Inglis recevait un accueil aussi loyal de la part du commandant du fort San Fernando d'Omoa, les Anglais tinrent une conduite bien différente à l'égard d'un bâtiment français.

Le capitaine Nalin, du port de Marseille, commandant un brigantin dont les frères Arnoux étaient les armateurs, se présenta dans le port de Grenade, aux Antilles, ignorant que les Anglais s'en fûssent emparés.

Il comptait qu'il lui serait tenu compte de son ignorance et de sa bonne foi; il ne rencontra pas la générosité, dont il avait conçu l'espoir, de la part des autorités anglaises. Il lui fut déclaré qu'il était prisonnier de guerre, et que son bâtiment était de bonne prise. Il n'obtint d'autre faveur que la permission de retirer ses effets personnels et ceux des hommes de son équipage. 2)

1) Louis XIV eut assez de grandeur d'âme pour être affligé de la mort de Ruyter. On lui représenta qu'il était défait d'un ennemi dangereux. Il répondit «qu'on ne « pouvait s'empêcher d'être sensible à la mort d'un grand homme. >>

(Voltaire: Siècle de Louis XIV.)

2) Les Anglais s'étaient emparé, le 26 juin 1745, après un siège de cinquante jours, de Louisbourg, capitale de l'île du Cap Breton, dans l'Amérique septentrionale; deux vaisseaux français de la compagnie des Indes et un galion d'Espagne, nommé l'Espérance, ignorant la prise de Louisbourg vinrent se réfugier dans ce port. Les Anglais, abusant de l'ignorance où étaient les capitaines de ces navires, entrant volontairement en relâche à Louisbourg, les considèrent de bonne prise. La charge de ces trois navires valait plus de 25 millions de francs. (Voir chap. II, § 4.)

Pour éviter de semblables méprises, les lois de la guerre devraient prescrire aux commandants des ports que le sort des armes a fait changer de maîtres, de déployer et de laisser flotter, sur le point le plus en vue des remparts, le drapeau de leur nation; l'absence du drapeau national sur un fort qui a été enlevé au pays auquel il appartenait avant la déclaration de guerre, devient un piège tendu à la bonne foi des navigateurs qui trouvent un ennemi là où ils s'attendaient à remontrer des amis. 4

§ 7.

La Diana, bâtiment prussien, entrant en relâche forcée dans un port français.

Le texte de l'ordonnance du 12 mai 1696 porte que les vaisseaux qui échoueront sur les côtes et qui y seront jetés par la tempête, seront jugés suivant les articles de l'ordonnance de 1681; or, cette célèbre ordonnance prescrit la confiscation de tout vaisseau échoué qui sera de fabrique ennemie, ou qui aura eu, originairement, un propriétaire ennemi. Le réglement du 17 février 1794 renferme la même disposition.

Toutefois, le conseil des prises, dans une affaire que nous allons indiquer, rendit un arrêt plus conforme à la justice, à l'équité et à l'humanité; malheureusement, cet arrêt n'a pas formé, à jamais, la jurisprudence en pareille matière.

Le 17 pluviose an VII (5 février 1799), au milieu d'une tempête, et naviguant sous pavillon prussien, la Diana, sortit de Guernesey avec un chargement de tabac et autres marchandises; elle fut bientôt obligée de se réfugier dans le port de Dunkerque. Le second capitaine de la batterie flottante de la rade, trouvant ce bâtiment suspect, le fit entrer et amarrer dans le port. L'état des papiers de bord ne permit pas d'établir, d'une manière certaine, la neutralité de la Diana. Mais le procureur général près le conseil des prises, trouva qu'il existait une raison plus puissante que la neutralité, eût-elle été démontrée, de prononcer la nullité de la prise: c'est le respect dú aux malheureux.

« La Diana, a-t-il dit, a été jetée sur nos rivages par la tempête; c'est pour se soustraire à un péril imminent qu'elle a cherché un asile dans un port français; le danger qui a déterminé sa relâche lui promettait, sur nos côtes, protection et sûreté; cependant on viole à son égard le droit de protection et d'asile; ....... l'exercice d'une pareille rigueur étant contraire au droit des gens, à nos lois, à l'usage constant des nations, je croirais manquer à mon caractère et au conseil auprès duquel j'ai l'honneur de représenter le gouvernement, si j'insistais d'avantage sur des principes aussi solennellement consacrés par nos lois et par celles de tous les peuples. Que la loyauté déployée dans toutes les circonstances par le gouvernement français serve de base à votre décision; prouvons qu'il est toujours généreux et juste. »><

Nous préférons cet appel aux sentiments de loyauté du conseil des prises, pour déterminer une décision favorable à la Diana,

à l'appel qui fut fait, trente ans plus tard, par le procureur général près de la cour de cassation, dans l'affaire du Carlo-Alberto : « Magistrats! Vous devez vous décider non par les exemples de « la chevalerie, mais par les lois.» (§ 11.)

La position de la Diana comme neutre n'était pas démontrée; mais ce bâtiment eût-il été ennemi, l'appel fait en faveur du malheur par le procureur général, aurait été entendu par le conseil, nous nous plaisons à le penser. L'arrêt qui fut rendu le 13 ventose de l'an IX (4 mars 1801) déclara invalide et nulle la prise de la Diana, posant le principe qu'un navire qui, pour échapper au naufrage, cherche un asile dans un port français, doit être relâché sans considérer s'il est neutre ou ennemi.

Les magistrats qui rendirent cet arrêt étaient animés des sentiments nobles et généreux qui guidèrent, en 1746, la conduite du gouverneur de l'île de Cuba, et celle, en 1780, du gouverneur du fort San Fernando d'Omoa.

La doctrine sur laquelle s'est appuyé le conseil des prises, en rendant son arrêt du 13 ventose an X (4 mars 1801) devrait être la seule applicable aux bâtiments de commerce de la nation ennemie, que la tempête jette sur les côtes des États belligérants : « Res sacra miser ».

Il y a barbarie, absence complète de dignité et de générosité, à profiter du malheur des naufragés, ou des hommes qui, en vue du péril imminent, viennent réclamer l'hospitalité protectrice d'un port appartenant à l'ennemi.

« Le malheur opère de plein droit une trève», a dit, en 1832, dans un mémoire produit devant la cour royale d'Aix, en Provence, Me Burel, défenseur des hommes de l'équipage du bâtiment sarde, le Carlo-Alberto, dont nous nous proposons de parler plus loin, au § 11 de ce chapitre.

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Cette parole devrait dominer la question toutes les fois qu'il s'agit de bâtiments de commerce naufragés, ou obligés de chercher un refuge dans un port, par suite d'avaries éprouvées, ou de l'état de la mer, soit qu'ils appartiennent à la nation momentanément ennemie, soit que neutres ils se trouvent chargés de marchandises réputées contrebande militaire; il n'en est point ainsi, nous devons l'avouer. Si l'arrêt du 13 ventôse de l'an X (4 mars 1801) est conforme à la doctrine de l'humanité et de l'équité, les lois en avaient décidé autrement, ainsi que le démontrent l'ordonnance du 12 mai 1696, l'article XV du réglement du 26 juillet 1778, et les articles XIX et XX de l'arrêté du 6 germinal an VIII (27 mars 1800).

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