Fragments d'un journal intime: précédés d'une étude, Band 1Georg & Company, 1887 |
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Seite xxxii - J'habite avec les éléments intérieurs des choses, je remonte les rayons des étoiles et le courant des fleuves jusqu'au sein des mystères de leur génération. Je suis admis par la nature au plus retiré de ses divines demeures, au point de départ de la vie universelle; là, je surprends la cause du mouvement et j'entends le premier chant des êtres dans toute sa fraîcheur.
Seite xliv - Qu'est-ce que notre vie dans le gouffre infini ? J'éprouve une sorte de terreur sacrée et non plus seulement pour moi, mais pour mon espèce, pour tout ce qui est mortel. Je sens, comme Bouddha, tourner la Grande Roue, la Roue de l'illusion universelle et dans cette stupeur muette il ya une véritable angoisse. Isis soulève le coin de son voile et le vertige de la contemplation foudroie celui qui aperçoit le grand mystère. Je n'ose respirer, il me semble que je suis suspendu à un fil au-dessus...
Seite 50 - ... où l'on porte le monde dans sa poitrine, où l'on touche aux étoiles, où l'on possède l'infini '? Moments divins, heures d'extase où la pensée vole de monde en monde, pénètre la grande énigme, respire large, tranquille, profonde comme la respiration de l'Océan, sereine et sans limites comme le firmament bleu...
Seite 26 - ... faire atteindre à l'homme son idéal, mais l'idéal diffère, sinon par son contenu, au moins par la disposition de ce contenu , par la prédominance et la souveraineté donnée à telle ou telle force intérieure : pour l'un l'esprit est l'organe de l'âme; pour l'autre l'âme est un état inférieur de l'esprit; l'un veut éclairer en améliorant, l'autre améliorer en éclairant. C'est la différence de Socrate à Jésus. La question capitale est celle du péché ». La question de l'immanence,...
Seite xli - Un recueillement profond se fait en moi ; j'entends battre mon cœur et passer ma vie. Il me semble que je suis devenu une statue sur les bords du fleuve du temps, que j'assiste à quelque mystère d'où je vais sortir vieux ou sans âge... Je me sens anonyme, impersonnel, l'œil fixe comme un mort, l'esprit vague et universel comme le néant ou l'absolu ; je suis en suspens ; je suis comme n'étant pas.
Seite 142 - J'oublie encore plus que je ne suis oublié. J'entre doucement dans le cercueil, de mon vivant. J'éprouve comme la paix indéfinissable de l'anéantissement et la quiétude vague du Nirvana ; je sens devant moi et en moi passer le fleuve rapide du temps, glisser les ombres impalpables de la vie, et je le sens avec la tranquillité cataleptique.
Seite 168 - Paresse et contemplation! sommeil du vouloir, vacances de l'énergie, indolence de l'être, comme je vous connais! Aimer, rêver, sentir, apprendre, comprendre, je puis tout, pourvu qu'on me dispense de vouloir. C'est ma pente, mon instinct, mon défaut, mon péché. J'ai une sorte d'horreur primitive pour l'ambition, pour la lutte, pour la haine, pour tout ce qui disperse l'âme en la faisant dépondre des choses et des buts extérieurs.
Seite 237 - A mon sens, le christianisme est avant tout religieux, et la religion n'est point une méthode; elle est une vie, une vie supérieure et surnaturelle, mystique par sa racine et pratique par ses fruits, une communion avec Dieu, un enthousiasme profond et calme, un amour qui rayonne, une force qui agit, une félicité qui s'épanche, bref la religion est un état de l'âme. Ces querelles de méthode ont leur valeur, mais cette valeur est secondaire; elles ne consoleront pas un cœur et n'édifieront...
Seite 31 - L'égalité engendre l'uniformité, et c'est en sacrifiant l'excellent, le remarquable, l'extraordinaire, que l'on se débarrasse du mauvais. Tout devient moins grossier, mais tout est plus vulgaire. Le temps des grands hommes s'en va ; l'époque de la fourmilière, de la vie multiple arrive. Le siècle de l'individualisme, si l'égalité abstraite triomphe, risque fort de ne plus voir de véritables individus. Par le nivellement continuel et la division du travail, la société deviendra tout et...
Seite 73 - La mère doit se considérer comme le soleil de son enfant, astre immuable et toujours rayonnant, où la petite créature mobile, prompte aux larmes et aux éclats de rire, légère, inconstante, passionnée, orageuse, vient se recharger de chaleur, d'électricité et de lumière, se calmer, se fortifier. La mère représente le bien, la providence, la loi, c'est-à-dire la Divinité sous sa forme accessible à l'enfance. Qu'elle soit passionnée et elle enseigne un Dieu capricieux, despotique, ou...