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REVUE MILITAIRE SUISSE

No 14.

Lausanne, le 6 Juillet 1871.

XVIe Année.

SOMMAIRE. Sur la centralisation du militaire suisse. IV. - La mise sur pied des troupes suisses en 1870-1871. (Rapport au commandant en chef par le chef d'état-major.) (Suite.) — Les princes d'Orléans à l'armée de la Loire. - Nouvelles et chronique.

SUR LA CENTRALISATION DU MILITAIRE SUISSE.

IV (1).

C'est du rapport de l'honorable M. Borel, publié dans notre avantdernier numéro, que nous voulons entretenir aujourd'hui nos lecteurs. Cet important document débute par une interprétation de dénominations, simple affaire de rédaction sans doute, que nous devons relever pour bien écarter toute possibilité de malentendu. En disant que le message révisionniste du Conseil fédéral du 17 juin 1870 propose une modification de l'art. 19 de la Constitution fédérale dont les conséquences seraient en premier lieu la suppression de l'échelle des contingents, il fait une telle abréviation qu'elle engendrerait facilement des inexactitudes si l'on n'y prenait garde.

Il ne s'agit point, en effet, de supprimer ce qu'on nomme échelle des contingents cantonaux, c'est-à-dire l'indication des troupes et des corps à fournir par les divers Cantons en proportion de leur population dans les termes constitutionnels, mais seulement d'en modifier la nature. Cette indication, qu'on l'appelle état des corps ou statistique des troupes ou échelle des contingents ou autrement, est insupprimable en soi, car elle est l'inventaire même des effectifs, qui doit exister forcément quelle que soit la base sur laquelle on l'établit.

D'autre part, l'inventaire actuel, soit l'échelle des contingents fixée en 1851, touche à son terme, puisqu'elle doit être légalement refaite tous les 20 ans. Si donc cette échelle était l'obstacle aux progrès militaires désirés, il n'y aurait qu'à exécuter simplement l'art. 19 de la Constitution qui en prescrit la révision, et non à réviser la Constitution elle-même, sauf en ce qui concerne le 4, à l'égard des Cantons dont le rapport entre la population militaire et la population totale est autre.

Ce que le message du Conseil fédéral entend changer, ce que tout le monde est d'avis avec lui de changer, c'est cette disposition de l'art. 19 fixant les forces de l'armée fédérale au 3+1 /, % de la population suisse.

Sans doute elle avait été établie sur des recherches statistiques et sur des calculs censés justes. En tenant compte des exemptions et exclusions légales, des dispenses, des surnuméraires voulus, etc., on avait trouvé que la population militaire existait dans cette proportion relativement à la population suisse totale et on avait inscrit cette donnée arithmétique dans la Constitution. On eut tort.

() Voir nos nos 10, 11, 12.

Au fond une telle donnée n'est qu'approximative; elle repose aussi sur quelques éléments variables, pouvant la mettre aisément en contradiction avec la prescription générale de l'art. 18 que tout Suisse est tenu au service militaire. Elle stipule, quoique équitablement comme maximum, une limite absurde comme minimum, puisque s'il advenait qu'un Canton ne pût fournir son 4, il y aurait inconstitutionnalité permanente sans qu'aucun pouvoir humain fùt en état d'y rémédier.

Aussi la prescription de l'art. 18 étant suffisante comme principe général, le Conseil fédéral demande sagement qu'on s'en tienne à elle seule, qu'on supprime l'autre, qui risque d'être gênante et qui avait servi de mesure pour déterminer l'échelle actuelle des contingents des Cantons. Ce n'est donc pas, ce ne peut pas être la suppression de l'échelle qu'on a en vue par la révision de cet art. 19, mais de mieux définir et de simplifier la base sur laquelle l'échelle doit être calculée.

A l'avenir cette base serait celle de l'article 18, « tout Suisse est militaire» après déduction des libérés, des exemptés et des exclus. Cela fournirait, par le moyen d'une revue ou d'une avant-revue générale, qui ne pourrait se faire que par les Cantons, un chiffre x de population militaire, dont la répartition par armes, par corps et par Cantons constituerait la nouvelle échelle ou le matricule des effectifs. Une certaine latitude de surnuméraires dans tous les corps ou la formation d'un dépôt général dans chaque Canton, peut-être une combinaison des deux mesures, suffirait à parer aux variations apportées à l'échelle par la fluctuation habituelle des populations et remplacerait la prescription de la révision tous les 20 ans. L'échelle, constamment mobile et révisable, suivrait les recensements des recrues, diminués des libérés, exemptés, etc., elle serait affranchie du degré fixe du 4 1/2 %, mais elle subsisterait.

Il s'ensuit que, pour bien s'entendre, la suppression de l'échelle des contingents dont parle M. Borel s'appellerait plus justement la suppression de la prescription du 42% de la population totale comme effectif de l'armée fédérale. (1) Dans cette hypothèse, et sans pouvoir admettre son argumentation à cet égard, par suite de l'obscurité sus-indiquée, nous nous rangeons pleinement à ses conclusions, soutenues par la Revue militaire depuis longtemps. Nous adoptons de même celles relatives à l'incorporation complète de la landwehr dans l'armée fédérale, c'est-à-dire toutes les propositions exprimées dans le message du Conseil fédéral, avec quelques réserves quant aux exemptions et libérations et aux différentes catégories d'âge de l'armée fédérale, dont nous parlerons ultérieurement.

Quant aux autres propositions, soit implicites du Conseil fédéral, soit formulées par les commissions des Chambres et tendant à la centralisation de tout l'habillement, équipement et armement, ainsi que de l'instruction de l'infanterie, nous ne pourrions en conscience céder

(Nous savons que les procès-verbaux de la commission révisionniste du Conseil National s'expriment à peu près comme M. Borel. Mais ce langage a moins d'inconvénients dans la conversation; d'ailleurs on y sent mieux l'ellipse du 4 1/2 %.

aux raisons données en faveur de ces innovations, et c'est sur ces points que nous désirons présenter quelques franches observations.

Tout d'abord rectifions deux assertions marquantes de l'honorable M. Borel, dont nous avons déjà signalé sommairement le caractère plus que douteux. « Le service militaire, dit-il, page 307, est une charge éminemment fédérale. » Double erreur, selon nous. Le service militaire suisse est un attribut du soldat-citoyen, un devoir civique, un honneur, non une charge seulement. Considéré sous ce dernier point de vue indépendamment des autres, il ne saurait donner aucun des résultats de dévouement qu'on attend de lui. Puis, dans ce cas, il n'est pas le moins du monde une charge fédérale seulement. Où donc aurait-on vu cela?... La Constitution, les lois organiques, les règlements, cent ordres du jour et proclamations affirment tout le contraire. Pour ne citer qu'un seul exemple, à la portée de chacun, nous renverrons au 1er § du règlement général de service portant: « Il faut » en outre que le soldat possède une instruction militaire suffisante.... > C'est donc un devoir sacré pour la Confédération, pour les Can» tons et pour tout militaire suisse de faire leur possible pour que > l'habitude des armes et l'adresse à les manier deviennent toujours ⚫ plus chez nous une qualité nationale. »

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Dira-t-on que si cette manière de considérer les choses militaires n'est pas dans le texte des lois organiques elle est dans leur esprit? On ne le pourrait pas davantage. La Constitution réserve bien, et avec raison, le droit de guerre et de paix aux pouvoirs fédéraux; mais elle accorde aussi des droits analogues, elle en fait même une obligation aux Cantons en cas de danger subit et urgent, extérieur ou intérieur (art. 15-17). D'ailleurs il serait absurde de désintéresser les Cantons dans les affaires militaires, tandis que c'est toujours eux ou l'un d'eux qui amènent les casus belli; que c'est eux qui, possédant le territoire et la richesse matérielle, seraient les victimes inévitables de toute guerre, sinon même les objectifs directs de l'ennemi. En fait dans toutes nos mises sur pied importantes les Cantons ont été forcément appelés à des rôles actifs que d'autres rouages n'eussent pas remplacés. Dernièrement encore l'armée française, réfugiée en Suisse, fut confiée aux administrations cantonales, et il eût été impossible, à la vérité, de procéder différemment dans de telles circonstances. Nous ne pensons pas qu'on s'en soit si mal trouvé.

Ainsi, l'assertion de M. Borel que le service militaire suisse est surtout une charge et une charge éminemment fédérale, n'a rien, absolument rien qui la justifie ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l'avenir. Elle explique, en revanche, ses énergiques et redoublées démonstrations des frais qui seraient épargnés aux Cantons par la centralisation, car son point de vue tout spécial lui fait naturellement considérer la Confédération, voulant bien se charger de toutes les affaires militaires, comme un généreux philanthrope en humeur de gracieuselés aux Cantons, notamment au canton de Neuchâtel qui aurait l'aubaine de quelques mille francs par an!

Cela constaté, nous pourrions nous abstenir d'aller plus loin. Il est évident que dès qu'on n'envisage notre militaire que sous ces deux

rapports également étroits et erronés, on est à peu près seul en Suisse dans de telles idées, et l'on ne peut point espérer d'y amener la majorité du pays, qui a d'ailleurs assez de bon sens pour savoir qu'on lui prendra dans une poche tout ce qu'on veut lui mettre dans l'autre. Toutefois, nous continuerons l'examen des arguments de l'honorable conseiller d'Etat neuchâtelois comme s'ils n'avaient pas cette substantielle énormité à leur base.

Il réclame la centralisation militaire pour détruire, dit-il pages 306-309, les inégalités choquantes » qui existent entre les Cantons. Le sentiment est fort louable, le moyen n'a pas la même valeur.

M. B. établit lui-même, page 306, que ces inégalités viennent surtout du plus ou moins de zèle que les Cantons mettent à l'accomplissement de leurs devoirs. D'autre part, il daigne conserver aux Cantons un rôle d'activité et de souveraineté qu'il fait ressortir trèshaut, pages 308, 309. Il doit s'ensuivre ou que les Cantons, par leurs différents degrés de zèle dans leur rôle futur, maintiendront les inégalités qui devraient disparaître ou qu'on n'aura l'égalité désirée que si les Cantons s'abstiennent de tout zèle; c'est-à-dire que le mal signalé par M. B. ne sera pas guéri ou que le remède sera pire que le mal.

Puis si nos besoins égalitaires sont si vifs, pourquoi n'en retrouvet-on pas quelque trace dans l'arrangement financier de la réforme qu'ils sont censés dicter? Pourquoi la fameuse question des frais montre-t-elle au contraire tel Canton, Neuchâtel, par exemple, faisant une bonne spéculation par la centralisation militaire, et ne craignant pas de s'en vanter (page 315), tandis que d'autres Cantons, Bâle notamment, y subiraient de fortes pertes dont ils se plaignent déjà vivement? Est-ce bien là de l'égalité? et les affaires militaires suisses gagneront-elles quoi que ce soit à servir tout d'abord de représailles à des questions d'économie politique résolues il y a plus de 20 ans? Il vaudrait certes mieux, répétons-le, abandonner purement et simplement les indemnités de postes et péages à la Confédération, pour qu'elle en accroisse d'autant sa compétence et son action en général, que de les troquer contre des réformes stipulées, qui ont l'inconvénient d'être envisagées, au seul point de vue de leurs conditions financières et indépendamment d'un mérite intrinsèque douteux, comme un profit par les uns et comme une perte par d'autres.

L'honorable M. B. dit encore, page 306, que « l'organisation militaire créée par la loi de 1850 ne correspond évidemment plus aux › conditions politiques et économiques de notre époque et ne satis> fait plus aux exigences de la défense nationale. »

C'est là une autre erreur capitale, sauf peut-être à l'égard des conditions économiques susdites, qui seraient mieux nommées les subtiles spéculations de quelques Cantons.

Ainsi que nous l'avons montré dans notre avant-dernier numéro, la loi de 1850, loin d'être surannée, est encore généralement en avance sur la réalité et sur nos ressources. Quelques dispositions spéciales à compléter, celle constitutionnelle du 4 1, % à retrancher, c'est tout ce

que cette œuvre demanderait pour rester le parfait idéal d'une bonne organisation militaire suisse. Le progrès consisterait à la suivre plus rigoureusement, à l'atteindre une bonne fois en tout, non à la bouleverser.

Comme essai de preuve de la désuétude de cette loi, l'honorable M. B. en revient à son échelle, ce qui le mène bientôt à des considérations qui naturellement ne brillent pas par leur déduction logique; qu'on en juge: « En dehors de la loi fédérale, dit-il, page 307,

nous avons 25 lois militaires, qui posent les principes les plus di> vers et parfois même les plus opposés. Le Suisse qui passe d'un » Canton dans un autre est soumis à une législation complètement » différente de celle sous laquelle il a commencé son service, et les > mutations de domicile, si fréquentes de nos jours, sont une cause » de véritable perturbation pour les administrations. Une partie de › nos jeunes gens échappent à tout service et à tout impôt militaire, > au moyen de permis de séjour; d'autres, également en grand » nombre, remplissent leurs devoirs militaires au lieu de leur domi>cile et n'en sont pas moins appelés à payer la taxe dans leur Canton » d'origine. »

Nous avons dit plus haut ce qui en était de l'argument de l'échelle. Quant à celui des populations mobiles qu'on y raccroche si bizarrement pour démontrer la nécessité de supprimer toutes les lois militaires cantonales, il ne nous paraît point remplir son but. Sous tous les régimes possibles, à moins qu'on ne veuille interdire aux soldats-citoyens les changements de domicile, ces déplacements auront quelques inconvénients; ils donneront dans les corps et dans les contrôles des mutations plus ou moins nombreuses, désagréables peut-être à MM. les fourriers, quartiers-maîtres, commis d'exercice ou administrateurs divers, mais sans autre danger pour la patrie. Ce cas a été parfaitement prévu par la loi de 1850 qui pose la règle, art. 144, que les Suisses, quelle que soit leur origine, font leur service militaire dans le Canton de leur établissement, et l'exception qu'ils peuvent le faire dans un autre Canton moyennant l'autorisation du Canton de l'établissement. Nous ne savons pas ce qu'on voudrait de plus précis ni de plus efficace si ces dispositions étaient nettement exécutées.

Les fraudes et les irrégularités auxquelles M. B. fait allusion ne sauraient être raisonnablement mises au débit de la loi, mais seulement à celui des autorités cantonales qui négligent de l'appliquer. D'ailleurs la proposition de M. B. ne résoudrait point les difficultés; elle ne ferait que les ajourner, que les rejeter sur d'autres, sur la Confédération; c'est-à-dire qu'elle les aggraverait. En effet l'autorité fédérale, nantie d'un de ces cas épineux et litigieux de déplacement, ne pourrait s'éclairer et le trancher que par l'intermédiaire des Cantons intéressés, que par le secours de leurs administrations de police et de fisc; après cela elle renverrait son jugement à l'administration militaire de ce même Canton. Alors n'était-il pas bien plus simple de laisser à ce Canton l'instruction et la décision de toute l'affaire dans les termes de l'art. 144 actuel?

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