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COUP-D'ŒIL RÉTROSPECTIF ET RÉFLEXIONS SUR LA GUERRE DE 1870. (Fin.)

Les forteresses, même les plus importantes et les plus exposées, restèrent mal armées et incomplètement approvisionnées. A tel point que Metz, qui devait jouer le principal rôle, Metz, le siége de l'école de l'artillerie et du génie, ne possédait, le 17 août, que 800 mille cartouches pour l'armée active et n'avait pas les moyens d'en confectionner. (1)

Même négligence dans les autres préparatifs indispensables et releant directement du gouvernement. A peu près partout l'intendance et l'administration se trouvèrent en retard quant aux vivres et aux transports, et les états-majors en défaut dans la connaissance du pays, munis qu'ils étaient d'excellentes cartes... d'Allemagne, d'au-delà du premier succès, mais pas des provinces françaises.

L'infanterie, à part quelques régiments particulièrement soignés, n'était généralement pas assez rompue à son nouveau règlement et à sa nouvelle tactique, surtout en corrélation avec les autres armes. La cavalerie légère, sauf une ou deux brigades, celle entr'autres du brave général Margueritte, qui malheureusement n'était pas en ligne aux premières affaires, ne sut presque jamais éclairer suffisamment les corps, encore moins tenter un de ces brillants raids à l'américaine qui auraient pu être si utiles. Au reste elle n'y avait pas été dressée et elle manquait de l'armement et de l'équipement à cet effet. D'ailleurs aucun corps spécial des chemins de fer pour transports, destructions et constructions; pas de vigies ou ballons d'observation et de signaux; un service télégraphique de campagne mal organisé; en un mot peu ou point de ces excellentes innovations, précieux auxiliaires au cachet moderne, popularisées par la guerre d'Amérique, si bien recueillies par les studieux Allemands, si dédaignées ou inconnues des états-majors français, ne croyant qu'à ce qui tombait de leurs hauts parages officiels, tandis que l'ex-empereur, de son côté, se plaint aujourd'hui de n'avoir pu triompher des routines semi-séculaires alourdissant l'organisation (2).

Dans ces conditions-là il serait injuste de jeter la pierre à l'armée impériale; ses deux premiers chefs seuls causèrent tout le mal. Ce beau corps sans tête combattit intrépidement, du 4 au 18 août, et même à Sedan, contre des forces accablantes, Sans doute la contagion de la négligence gagna aussi quelques troupes, qui se laissèrent plusieurs fois surprendre ou isoler très fâcheusement. Mais à part ces contretemps et dans les limites du vice originel de leur entrée en campagne, on ne saurait leur refuser ni du mérite stratégique ni une bonne et vaillante conduite tactique jusque sous les murs de Metz. Jusque-là leur infériorité provint surtout de l'absence des effectifs suffisants, faute exclusive du gouvernement. Devant Metz cette infériorité fut malheureusement continuée par Bazaine stratégiquement quand il se laissa refouler sur un camp retranché qu'il savait déjà mal approvisionné et mal outille; tactiquement, quand, une fois bloqué par des forces peu supérieures aux siennes, il se

() Voir rapport sommaire du maréchal Bazaine, page 7. () Voir brochure de la capitulation de Sedan, page 5.

borna à une défense si passive. Cette infériorité fut aussi continuée par Mac-Mahon quand, après Wörth et après avoir su si bien reformer une nouvelle armée au camp de Châlons, il la conduisit, hélas, dans la fatale nasse de Sedan ('). Rien ne pourra le relever d'une telle faiblesse. S'il tenait absolument à tenter la délivrance immédiate de son collègue Bazaine, qui n'en était pourtant pas à ces extrémités, il aurait dû opérer son mouvement tournant par la droite, zone offrant les mêmes avantages que celle de gauche, et d'autres encore, sans risques pour sa ou pour ses lignes de retraite, ou bien simplement se replier sur le camp retranché de Paris, dont les admirables ressources, si mal utilisées par Trochu, sans doute pour n'en avoir pas eu en temps voulu les moyens, lui eussent aisément fourni l'occasion de relever la partie.

Quelles furent les raisons réelles qui portèrent Mac-Mahon à acculer sa lourde masse de 140,000 hommes à la frontière de Sedan plutôt qu'à la diriger à droite ou en arrière? C'est ce qu'on a voulu expliquer de diverses façons qui ne nous paraîtront bien authentiques que quand l'honorable maréchal aura parlé lui-même. On n'est pas encore mieux au clair sur les vrais motifs de la défense si passive de Metz par Bazaine et de sa triste issue. Mais jusqu'à ce qu'on soit exactement renseigné sur ces deux points, nous pensons que les causes des désastres français de cette première partie de la campagne se résument en entier dans celles indiquées plus haut, qui ont elles-mêmes leur source directe dans l'imprévoyance générale du gouvernement, celui-ci en demeurant d'autant plus responsable que l'empereur, et respectivement son ministre de la guerre, cumulèrent les fonctions de chefs politiques et de chefs de l'armée en campagne. Il va sans dire qu'une autre cause de ces désastres ne doit point être oubliée: la sage et vigoureuse direction des opérations prussiennes, notamment leur solide et soutenue offensive dès le 4 août, en débutant par écraser Mac-Mahon et Frossard tout en prenant la ligne intérieure entre les deux armées françaises pour fondre directement sur leur première base de Metz; là, dans les mêmes bonnes combinaisons, se portant sur Gravelotte et refoulant Bazaine sur son camp retranché; se divisant pour déloger Mac-Mahon de Châlons tout en bloquant Bazaine; enfin pourchassant promptement Mac-Mahon au nord, dès Reims, pour l'enserrer à Sedan. Tout cela, aussi bien conçu qu'exécuté, restera un glorieux monument, quoiqu'il puisse advenir encore, élevé à la bravoure, à la solidité, à la mobilité, à l'intelligence, à la hardiesse des armées allemandes, ainsi qu'à l'habileté et à l'énergie de leur direction supérieure.

On a déjà beaucoup discuté et l'on discutera plus encore sur ce thème; l'auteur de ces lignes s'en est déjà mêlé dans l'avant-propos d'une publication récente (2).

(') La brochure susmentionnée sur la capitulation de Sedan dit bien (pages 14-20) que Mac Mahon eut des ordres supérieurs du gouvernement de la Régence, ordres qu'il désapprouva mais exécuta quand même. Un maréchal de France commandant en chef n'étant pas un caporal de consigne, des ordres supérieurs d'un pouvoir lointain ne sauraient couvrir suffisamment sa responsabilité.

(*) Etudes d'histoire militaire par le colonel Lecomte. 2e vol. Temps modernes jusqu'à la fin du règne de Louis XIV. 2e édition. Chantrens, éditeur à Lausanne.

Il aurait peut-être, dès aujourd'hui, bon nombre de modifications et d'adjonctions à y apporter, pour mieux entrer dans la vérité des faits et dans l'équité des jugements. Néanmoins la partie essentielle, l'analyse des principales causes des revers et la réfutation de quelques vues erronées à ce sujet, ne saurait subir de changements notables. Nous prendrons donc la liberté de terminer, pour le moment, ce coup-d'œil rétrospectif par quelques citations dudit avant-propos, quoiqu'il date déjà du mois d'octobre dernier :

« Au milieu, dit l'auteur, de l'ébranlement général auquel nous assistons, ébranlement augmenté de toutes les défaillances de la présomption désillusionnée et des enivrements de l'orgueil ébahi autant que charmé de ses triomphes, il est consolant de constater que quelques principes, qui nous sont particulièrement chers, restent debout, d'autant plus fermes et lumineux que le cahos s'accroît dans leurs alentours. Ce sont les principes de l'art de la guerre tels qu'ils ont été posés par Napoléon et formulés par notre regretté maître et compatriote le général Jomini ('); de cet art dont on peut dire aujourd'hui mieux que jamais qu'il fonde et détruit les empires; qui, négligé par les hommes d'état et par les étatsmajors, les mène inévitablement aux catastrophes, et qui, systématiquement dédaigné par d'ingénieux penseurs s'acharnant à creuser les énigmes de leur seule ignorance, laisse l'opinion publique en proie aux erreurs les plus grossières sur les causes réelles de ces catastrophes ainsi que sur leurs conséquences morales et matérielles.

<< Sans nul doute les causes d'un événement tel que la chute d'un puissant empire ne peuvent manquer d'être nombreuses et complexes. Rechercher toutes celles susceptibles d'y avoir contribué directement ou indirectement est un travail rétrospectif qui doit plaire aux esprits sérieux et scrutateurs. Mais cette recherche ne perdrait rien de son mérite à constater tout d'abord les causes immédiates, palpables, positives, pour ne passer qu'ensuite à celles de tournure plus philosophique. Or c'est ce qu'on ne fait pas. Et cependant on est bien obligé de reconnaître que quelles que soient les fautes, les illusions ou les préoccupations qui ont amené le gouvernement de l'empereur Napoléon III à sa fatale détermination du mois de juillet dernier, il a décuplé leur action malfaisante par quatre à cinq erreurs capitales d'art militaire qui auraient pu facilement être évitées. »

Suit l'indication de ces fautes, telles qu'elles ont été résumées cidessus; puis, après l'énumération des mesures de simple prévoyance qui les eussent fait éviter, l'auteur reprend comme suit :

« Si ces diverses mesures, toutes hypothèses plausibles et même essayées en partie, avaient été résolûment suivies, l'état des opérations pouvait devenir aisément tout différent, aboutir à l'inverse même de ce qu'il est à ce jour. Il ne fallait en somme que quelques ordinaires précautions et un peu de vigueur, comme cent fois la France en montra, pour rendre possible un tel résultat.

« On verrait peut-être aujourd'hui la Prusse, isolée de ses chers alliés allemands, se débattre sur sa troisième ligne de défense, après avoir changé le ministère de M. de Bismark contre deux ou trois autres. On verrait MM. Simon et Jacoby au pouvoir et M. le chancelier fédéral écrire, dans quelque bourgade italienne, un livre sur les bienfaits méconnus de la politique de fer et de sang.

(1) Voir Précis de l'art de la guerre. Voir aussi le Cours de tactique et le Mémorial pour les travaux de guerre du général Dufour.

« On aurait vu en même temps la nouvelle diplomatie prussienne solliciter des secours à toutes les portes, où elle eût trouvé cette réponse presque invariable: « Vous avez toujours cherché querelle à la France depuis 1792 et 1806; Waterloo n'a pas même suffi à vous consoler des défaites que vous aviez provoquées. Encore en 1859, à propos de l'Italie, vous avez menacé la France d'invasion; vous avez repris vos tracasseries en 1867 à propos du Luxembourg, puis en 1870 avec vos intrigues dynastiques espagnoles, sans parler de quelques chicanes secondaires. D'ailleurs vous êtes dévorés de la soif d'agrandissement de Frédéric II, qui n'est plus de notre temps; vous avez pour cela fait une guerre inique au Danemark en 1864, une plus inique à vos alliés et compatriotes en 1866, contre lesquels vous ouvrites les hostilités en même temps que vous les leur déclariez; vous vous apprêtiez à bien d'autres exploits de ce genre, dans le seul but de vous arrondir sur terre et sur mer, sans souci des moyens ni des prétextes et en exploitant adroitement la noble idée de l'unité nationale allemande ; il n'est pas mauvais que vous soyez une fois arrêtés dans vos convoitises et agressions qui menaçaient les libertés de tous vos voisins, et que vous ayez enfin trouvé votre maître, auquel nous recommanderons d'ailleurs la modération et la charité chrétienne à votre égard. »

« Très probablement on aurait vu aussi ces réponses officielles secondées de nombreux renforts officieux. D'éminents et profonds penseurs, allemands et autres, auraient usé de vingt recueils et brochures pour prêcher le remords à la Prusse haletante, comme aujourd'hui la sérénissime Revue des Deux-Mondes croit devoir sermonner ses compatriotes épuisés, après les avoir inondés si longtemps de ses lumières. Celle-ci offrirait probablement de son côté, au lieu de la maussade et docte rhétorique de ces derniers jours, quelque nouvelle édition de ses dithyrambes belliqueux de 1855 et 1859, ou ferait des plans de remaniements territoriaux de l'Allemagne dans le goût de ceux que MM. Mommsen, Sybel et autres savants allemands s'occupent de forger pour la France.

«En vérité l'humanité pensante n'est-elle pas curieuse à contempler sous le coup d'une grande victoire, la plus persuasive de toutes les harangues? Singulière dupe surtout que cette haute dialectique si fière de son anti-militarisme et qui n'obéit plus qu'à la voix du canon; mais dupe réussissant, par la facile contagion d'une logique fort consciencieuse de développement sinon de base, à en faire malheureusement beaucoup d'autres parmi les nombreuses gens avides de vues éthérées sur les affaires du jour.

« Et naturellement ces philosophes, qui ont eu le tort de se fourvoyer dans un domaine étranger, ont trop de talent pour douter de leur infaillibilité en des choses qu'ils croient si terre à terre; ils ne voudront jamais convenir qu'un simple à-droite au lieu d'un à-gauche commandé à Châlons par le duc de Magenta, ou une meilleure potion donnée à temps au regretté maréchal Niel eût pu changer du tout au tout la note des considérations transcendantes et souvent séduisantes dont ils délectent la curiosité publique.

Mais quoi qu'ils en disent il doit, en ces temps-ci, sauter aux yeux que si la France souffre d'un abaissement sans exemple dans l'histoire, ce n'est pas, comme on le lui reproche, pour avoir dédaigné les arts bienfaisants de la paix, mais bien au contraire pour avoir trop délaissé l'art de la guerre, qui l'avait élevée sur le pavois; pour avoir trop confondu cet art suprême avec le simple métier des armes, avec la vaillance individuelle et artificielle, avec la technologie spéciale, facteurs impor

tants sans doute dans la formule générale de l'art, mais qui ne sont pas plus l'art lui-même que les mains et les pieds ne sont le cerveau dont ils traduisent les volontés.

« La conclusion de ces grands événements est donc à notre avis tout opposée à celle que d'honorables publicistes trop exclusivement civils se sont empressés d'en tirer contre ce qu'ils appellent le militarisme, le régime du sabre, les armées permanentes, la lèpre de la soldatesque, les horreurs de la guerre, etc., etc.

« Nous accorderons que l'exagération de la force militaire dans le gouvernement des nations peut devenir un mal réel pour tout le monde, pour la nation qui en suppute les bénéfices comme pour celles destinées à en être victimes.

<< Mais où le mal est grand et doit devenir désastreux, c'est quand un gouvernement s'appuie sur une force militaire qu'il n'est pas à même de conduire au moment critique; c'est quand il y a disparate, en deux mots, entre les troupes et leurs chefs supérieurs. A une bonne et nombreuse armée il faut un état-major à l'avenant, sans cesse enflammé du feu sacré de sa haute mission. Sans cela il vaudra mieux, pour la plupart des cas, n'avoir pas d'armée proprement dite, instrument à deux tranchants difficile et dangereux à manier, mais seulement de nombreuses milices, avec lesquelles, par suite de leur imperfection même, les grandes folies seront matériellement impossibles. Les armées de milices sont au moins un préservatif contre les mauvais conquérants, contre les Césars de contrefaçon, suivant la pittoresque expression de Ste-Beuve, comme les parlements et nos républiques démocratiques le sont contre les mauvais gouvernants. Et à qui ne sait se servir d'armes délicates, une fine lame de Tolède ou un Colt de haute précision vaudra moins qu'un gourdin de bois vert.

1.

« Puis on ne saurait nier que si les évènements de 1870 semblent plaider contre le militarisme français, ils glorifient d'autant son confrère prussien, qui l'a vaincu et qui ne lui cède en rien quant aux griefs des civilistes. Non-seulement il lui ressemble sous presque tous les rapports spéciaux, mais en outre il a l'obligation générale du service au lieu de la conscription et du remplacement, beaucoup plus de gardes mobiles sous le nom de landwehrs, davantage de canons et portant mieux, des consignes plus sévères en temps de guerre, et par dessus le marché, dit-on, une grande piété! Ses premiers hommes d'état même lui font la cour jusqu'à l'escorter en campagne, comme M. de Bismark, sous la tenue d'officier de cuirassiers, perfectionnement caractéristique du genre auquel les autres gouvernements européens n'ont pas encore atteint.

« Petit à petit seulement la France marchait vers le système de l'organisation prussienne, du maximum des hommes valides qu'un pays peut mettre sur pied; elle y est arrivée brusquement et forcément par la guerre; elle y restera sans doute à la paix, et maints autres pays feront de même. Si cela contente Messieurs les philosophes civils, il faut avouer qu'ils ne sont pas difficiles sur les choses pourvu que les mots leur donnent raison. On n'aura plus exclusivement d'armées permanentes peut-être, mais des peuples armés en permanence, et nous doutons que ce soit au profit de l'humanité et de la civilisation en général soit en temps de guerre soit en temps de paix. Les guerres seront moins fréquentes peut-être, mais d'autant plus longues et plus cruelles. « Il en sera ce qu'on voudra. Qu'à l'avenir on ait des forces militaires soit de milices, soit de ligne, soit d'un système mixte, l'instruction aussi développée que possible des états-majors et des chefs d'adminis

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