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§ 1643. Un traité dùment ratifié est-il définitivement obligatoire pour les parties contractantes, ou réclame-t-il un dernier complément avant d'entrer en vigueur ?

Cette question ne peut recevoir une solution générale, uniforme, parce qu'elle rentre dans le domaine du droit public interne des États, lequel varie à l'infini d'un pays à l'autre. Dans certaines contrées, par exemple dans les monarchies absolues, le droit de négocier, de conclure et de ratifier toute espèce de traités appartient directement et sans réserve aucune au souverain; pour ces traitéslà, il est évident que l'échange des ratifications les rend parfaits et en entraîne forcément la mise à exécution immédiate: c'est ce qui a lieu notamment en Russie, en Turquie et dans toutes les régions de l'extrême Orient.

D'autres pays, comme nous l'avons déjà fait remarquer plus haut, confèrent bien le droit de ratification à l'autorité qu'elles investissent du pouvoir exécutif; mais elles entourent l'exercice de ce droit de certaines réserves, ou y attachent des conditions qui font que l'échange des ratifications n'entraîne pas de plano tous ses effets pratiques, et que l'exécution du traité peut être suspendue, quand elle n'est pas rendue absolument impossible. On peut donc établir en principe, à l'égard de ces pays, qu'un traité, quoique ratifié. n'est parfait et ne devient absolument, définitivement obligatoire que lorsqu'il a traversé sa dernière phase, c'est-à-dire celle de la sanction légale qu'impose, à tous les actes de l'espèce, le régime constitutionnel de la nation au nom de laquelle il a été conclu. C'est même là un principe d'ordre supérieur, inhérent à la souveraineté nationale, et qui n'a pas besoin d'être consacré dans le traité, ni formellement réservé dans l'acte de ratification; car il s'impose tacitement de lui-même aux parties contractantes, qui ne sauraient en prétexter l'ignorance et moins encore se soustraire à son application.

La plupart des États modernes ont adopté pour règle de ne rendre les traités de commerce exécutoires qu'après les avoir fait sanctionner par le pouvoir législatif; en général, ils agissent de même pour tous les traités qui altèrent en quoi que ce soit les lois générales du pays, comme pour ceux qui renferment des clauses financières qui impliquent une cession ou une acquisition de territoire. Tant que la nation ne les a pas reconnus et approuvés par

Précis, § 338; Klüber, Droit, §§ 157-159; Garden, Traité, t. I, pp. 432 et seq.; Bello, pte. 1, cap. IX, § 6; Dalloz, Répertoire, v. Traité int., art. 1, §6; Hall, Int. law, p. 291.

l'organe de ses représentants naturels, les traités qui ont besoin de cette dernière consécration demeurent imparfaits et ne peuvent être mis à exécution.

C'est en vertu des principes que nous venons d'exposer que le traité de commerce conclu à Utrecht, le 11 avril 1713 (1), ne fut pas exécuté intégralement, le parlement britannique ayant refusé son assentiment au bill destiné à introduire dans les lois commerciales et maritimes de l'Angleterre les modifications que nécessitaient les engagements souscrits en faveur de la France.

Aux États-Unis, les traités sont négociés et conclus par le président; mais ils ne peuvent être ratifiés qu'avec le consentement et l'approbation du Sénat, qui leur confère, par son vote, la même autorité que celle qui appartient à la loi suprême de la république. Toutefois, les stipulations internationales qui imposent à la Fédération des charges pécuniaires, qui modifient sa législation intérieure, qui altèrent les tarifs de douane ou qui concernent des changements de territoire, ne peuvent entrer en vigueur qu'après avoir été soumis au congrès tout entier, seul compétent pour édicter les lois spéciales d'exécution.

L'Angleterre a adopté, en cette matière, un principe mixte, c'est-à-dire que, tout en conférant à ses souverains le droit de négocier et de ratifier des traités, de l'avis et avec le contre-seing du conseil privé, elle réserve formellement le vote de son Parlement pour la mise en vigueur de toute stipulation internationale dont l'objet rentre dans le domaine propre du pouvoir législatif. Il en est de même en Allemagne.

L'observation générale que nous avons eu occasion de faire à propos de la non-ratification des traités s'applique de tout point au refus de sanction des mesures législatives indispensables pour la mise à exécution. Sans doute, le pouvoir public auquel la constitution de chaque État attribue cette sanction est, en principe, souverainement libre ct indépendant dans l'exercice de son droit; mais les convenances internationales, les justes égards qu'il doit à l'autorité suprême lui imposent l'obligation de peser mûrement la portée d'un refus d'approbation et de concours, de négliger les questions de forme ou de détail, et de nc se préoccuper que des intérêts généraux du pays.

Or, on peut se demander quelle est la portée de ce refus de sanction législative par rapport au souverain qui a donné sa ratification.

(1) Dumont, t. VIII, pte. 1, p. 345.

Discussion

entre la Fran

Unis.

Ya-t-il rupture complète du lien contracté? L'exécution du traité ratifié peut-elle être exigée, poursuivie au besoin par la force?

Ce sont là des questions délicates; mais elles perdent leur gravité et se résolvent sans peine lorsqu'on les envisage du point de vue élevé qui les domine toutes: d'où dérive le droit de ratification? Evidemment de la constitution interne de chaque Etat, qui, en vertu du principe de la souveraineté nationale, peut librement étendre ou restreindre l'exercice de cette souveraineté et la subordonner à certaines conditions de validité. Le souverain ne peut donc ratifier que dans les limites et sous les réserves tracées par le droit public qui le régit et qu'il a pour mission spéciale d'observer et de faire respecter au dedans et au dehors par ses propres sujets aussi bien que par les États étrangers. Il en résulte que, dans les pays placés sous un régime constitutionnel qui réglemente la formation des liens internationaux, la ratification souveraine n'a qu'une valeur constitutionnelle et ne donne pas au traité sur lequel elle porte toute sa valeur exécutoire. Le souverain est bien personnellement et moralement obligé de ne négliger aucun effort, aucun soin pour parfaire le traité et en obtenir la consécration finale par les pouvoirs publics compétents; mais la nation tout entière ne saurait être liée tant que ses délégués naturels n'ont pas librement donné leur assentiment aux engagements souscrits en son nom, ni par conséquent être rendue responsable ou contrainte d'exécuter un traité, même ratifié, qui aurait été constitutionnellement reconnu ne pouvoir entrer en vigueur.

§ 1644. Le cas le plus notable de conflit international causé ce et les Etats- par la non-exécution immédiate d'un traité après l'échange des ratifications est celui qui se produisit en 1831 (1) entre la France et les Etats-Unis à propos du traité dit des 25,000,000 de francs. Cet arrangement, dont la négociation s'était prolongée pendant un grand nombre d'années, stipulait, au profit du commerce américain, une indemnité générale et à forfait pour l'ensemble des pertes, des captures de navires et des confiscations de marchandises dont il avait eu à souffrir pendant la guerre de la Révolution Française et du premier Empire. Après avoir été ratifié en due forme, ce traité fut soumis en France au pouvoir législatif pour le vote du crédit nécessaire au paiement de l'indemnité qui y était stipulée; la majorité de la Chambre des députés ayant refusé le crédit demandé, le minis

(1) De Clercq, t. IV, p. 111; Elliot, vol. I, p. 525; Martens, Nouv. recucil, t. X, p. 380; Bulletin des lois, 1836, no 424; Lesur, 1834, app., p. 69.

tère français donna sa démission, et le traité ne put être mis immédiatement à exécution. Mais, avant que ce vote de rejet eût pu être connu en Amérique, le secrétaire de la trésorerie américaine avait tiré sur le ministre des finances à Paris une lettre de change ordinaire, égale au montant du premier terme échu de l'indemnité convenue; cette traite ne fut pas acceptée à présentation, moins à cause de sa forme insolite et faute d'avis préalable, que parce que les fonds qui devaient y faire face n'avaient pas encore été légalement rendus disponibles. Les Etats-Unis, par l'organe de leur président, le général Jackson, adressèrent de vives représentations au gouvernement français, en se plaignant d'un procédé auquel ils attribuaient le caractère d'un manque de bonne foi, d'une violation de la parole donnée. Le cabinet de Paris n'eut pas de peine à démontrer qu'en France le vote des dépenses publiques et des contributions, en d'autres termes l'ouverture des crédits, étant un des attributs souverains du pouvoir législatif, tout traité qui renferme des classes pécuniaires ne peut devenir exécutoire qu'après avoir été sanctionné par les Chambres; que, dans ces conditions, la ratification du roi ne suffisait pas pour parfaire le traité et le rendre définitivement obligatoire, qu'elle n'avait qu'un effet suspensif et conditionnel; qu'au surplus le gouvernement se considérait si peu comme dégagé des obligations morales par lui contractées qu'il se proposait de faire un nouvel appel à la Chambre des députés pour obtenir constitutionnellement l'approbation du traité et les moyens d'en accomplir les stipulations.

Les Chambres françaises, ayant été mises en demeure d'étudier avec plus de maturité les questions de fait et de droit que le traité de 1831 était destiné à résoudre, reconnurent la réalité des titres qui militaient en faveur du commerce américain, annulèrent leur premier vote et allouèrent le crédit nécessaire pour solder l'indemnité convenue.

Si l'on envisage au seul point de vue des principes ce conflit, qui a failli amener la guerre entre deux peuples amis et liés par tant d'intérêts commerciaux, il faut bien reconnaître que, même en faisant abstraction de la question de procédés et de déférence internationale, les Etats-Unis n'avaient pas le droit strict de leur côté. En traitant plus haut la question des ratifications, nous avons déjà eu occasion de faire remarquer qu'en règle générale l'effet pratique d'un traité ratifié est, quant à sa force obligatoire, absolument subordonné à la teneur du droit public interne de chaque nation, et que dans les pays où la constitution exige la sanction finale des

Validité et force obliga

tés.

Législation anglaise.

traités ou de certaines de leurs clauses par le pouvoir législatif la ratification souveraine n'a qu'une portée conditionnelle, qui existe de plein droit et n'a nul besoin d'être formellement réservée. Or dans l'espèce, les Etats-Unis devaient savoir quelles obligations légales pesaient sur le gouvernement français après l'échange des ratifications d'un traité d'indemnité; ils étaient même d'autant moins autorisés à montrer sous ce rapport une susceptibilité exagérée qu'ils ne pouvaient suspecter ni la bonne foi ni les dispositions bienveillantes du roi Louis-Philippe, et que leur propre constitution réserve expressément le concours du congrès tout entier pour assurer l'exécution de certains engagements internationaux, même après qu'ils ont été ratifiés par le président avec l'assentiment du Sénat*.

§ 1645. Selon Blackstone, la constitution anglaise ne donne à autoire des trai- cun des pouvoirs publics du Royaume-Uni la faculté d'entraver, de retarder, de suspendre ou d'annuler les conventions diplomatiques conclues par le monarque; toutefois, les stipulations de droit international ne deviennent obligatoires qu'après qu'elles ont été promulguées comme loi et à condition qu'elles ne soient contraires à aucun acte du Parlement : c'est pourquoi, toutes les fois que les traités impliquent un changement de législation pour le fond ou la forme, renferment des clauses financières où affectant les intérêts généraux du pays, il a nécessité d'un bill d'appropriation, en d'autres termes, d'une sanction législative.

Législation américaine.

§ 1646. La constitution des Etats-Unis assimile les traités à la loi suprême du pays; elle leur donne par conséquent, devant les tribunaux, la même autorité que celle qui appartient aux actes du congrès, et déclare de nul effet toute loi générale ou spéciale qui pourrait être rendue en violation d'une stipulation internationale. Pour la réalisation pratique des engagements particuliers contractés au nom des Etats-Unis, le traité est déféré non à la Cour, suprême de Washington, mais au ministre compétent, qui met le congrès en de

*

Halleck, ch. vIII, §§ 15-18; Wheaton, Elém., pte. 3, ch. 1, §7; Kent, Com., vol. I, $$ 166, 285; Grotius, Le droit, liv. III, ch. xx, §7; Vattel, Le droit, liv. I, ch. xx, § 244; ch. xx1, §§ 262-265; liv. IV, ch. 11, §§ 11, 12; Heffter, § 94; Twiss, Peace, § 232; Lord Mahon, Histoire of England, vol.I, p. 24; Webster, Off. and. disp. papers. préf., pp. 18, 19; Holmes, annals, vol. II, p. 506; Lawrence, Visitation, p. 28; Hausard, Parl, deb. (N. S.), vol. XI, p. 1; Lawrence, Elém. by Wheaton, note 155; Pradier-Fodéré, Grotius, t. III, p. 384; Cushing, Opinions, vol. VI, p. 291; U. S. statules at large, vol. I, p. 578; vol. IX, p. 109; Dalloz, Répertoire, v. Traité int., art. 1, § 3; Hall, Int. law, p. 279.

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