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LIBERTÉ DE NAVIGATION

SUR LES FLEUVES INTERNATIONAUX

§ 1.

Il est généralement admis que le congrès de Vienne a proclamé le principe de l'affranchissement complet des fleuves communs à plusieurs États, et que l'application fidèle des maximes qui, suivant le témoignage de la plupart des historiens, lui ont fait le plus d'honneur, doit nécessairement livrer ces voies à la concurrence universelle.

Telle paraît être notamment l'opinion du savant auteur du Droit international codifié (1), qui trace dans son article 314 cette règle absolue : « Les fleuves et les rivières navigables qui sont en communication avec une mer libre, sont ouverts en

(1) Le Droit international codifié par M. Bluntschli, 1869. Voir également Éléments du droit international de Wheaton, t. I, p. 182, l'introduction au recueil d'Angeberg sur le traité de Vienne, par Capefigue. Le Droit intern. europ., de Heffter, p. 155, 156, etc., etc.

temps de paix aux navires de toutes les nations. Le droit de libre navigation ne peut être ni abrogé ni restreint au détriment de certaines nations. >>

Quoique M. Bluntschli se soit imposé la tâche de résumer en lois « l'ensemble des faits et des principes reconnus qui réunissent les divers États en associations juridiques et humanitaires (1) » et malgré le soin qu'il prend de noter sous forme de commentaire que la reconnaissance des règles admises entre les États est essentielle et qu'il n'y a de droit que lorsque la conscience de ce droit a été assez puissante pour le faire mettre en pratique (2), il n'est pas vraisemblable que le jurisconsulte allemand ait entendu représenter cette liberté fluviale avec l'extension qu'il lui donne, comme une acquisition définitive du droit des gens.

En effet, la liberté fluviale absolue, celle qui basée sur l'égalité de tous les pavillons, comprendrait tous les cours d'eau tributaires directs de la mer, n'est pas généralement reconnue et pratiquée, et ce progrès est encore si contesté qu'il n'a même pas prévalu jusqu'à présent sur toutes les artères navigables partagées entre plusieurs souverainetés.

Cependant, et cette remarque tend à justifier l'assertion émise au début de cette étude, M. Bluntschli a cru pouvoir invoquer l'article 109 du traité de Vienne à l'appui de son article 314, comme si rien n'autorisait à douter de la véritable portée de (1) Art. 1.

(2) Commentaire ad art. 1.

cette loi européenne, comme s'il était constant et parfaitement certain que les signataires de ce traité, en réglementant les fleuves internationaux, avaient réellement et formellement résolu de les rendre accessibles aux navires de tous les pays (1).

Ce point de fait n'est pas aussi évident qu'on se le persuade, et, ainsi que j'ai eu occasion de m'en expliquer dans la partie historique de cet essai, ce n'est pas sans quelques réserves que l'on peut attribuer à la haute assemblée de 1815 un aussi généreux dessein.

Il est rare de rencontrer dans les annales diplomatiques une disposition plus volontairement ambiguë que celle dont le baron de Humboldt a fait adopter la rédaction par la commission chargée de développer l'article 5 du traité du 30 mai 1814. << La navigation, est-il dit dans l'article 109 du traité de Vienne, sera entièrement libre et ne pourra sous le rapport du commerce, être interdite à personne (2). »

En examinant cet énoncé en lui-même et indépendamment du commentaire officiel qui l'accompagne, il semble de prime abord que l'on ne puisse

(1) M. Bluntschli dit ad art. 314, p. 190. « On accorde le droit de naviguer (sur les fleuves communs) aux navires de toutes les nations et non pas seulement à ceux des nations riveraines. »

(2) Dans la citation qu'il fait de l'article 109, M. Bluntschli néglige la mention essentielle, « et ne pourra sous le rapport du commerce, etc., etc. »

On constate cette omission dans les analyses de plusieurs

autres auteurs.

y découvrir d'autre sens que celui-ci : tout bâtiment de commerce, quel que soit son pavillon, aura le droit de naviguer sur les fleuves internationaux. Et si l'on s'arrête particulièrement aux mots « sous le rapport du commerce », on se les explique ainsi : les fleuves internationaux sont ou peuvent être fermés aux bâtiments qui n'ont pas pour objet exclusif les transports commerciaux (1).

Or telle n'était point, aux yeux de son auteur, la signification exacte de la clause que répètent invariablement depuis plus d'un demi-siècle les règlements applicables aux grands cours d'eau des deux continents. L'expression « sous le rapport du commerce» visait à l'exclusion des pavillons étrangers, et à ce titre elle équivalait à la négation du principe itérativement formulé dans la phrase précédente d'après laquelle la navigation fluviale devait être non seulement libre, mais encore entièrement libre. Les procès-verbaux des séances des 8 février et 3 mars 1815, dont j'ai précédemment transcrit jdes extraits en citant l'amendement rectificatif de lord Clancarty, dévoilent partiellement cette restriction mentale ainsi que l'embarras du diplomate dirigeant mis en suspicion par son collègue britantannique. Plus tard l'on éprouva moins de scrupules à avouer le but véritable du changement apporté dans le texte primitif du plénipotentiaire français.

1. Voir à ce sujet la convention du Prath du 25-3 décembre 1866.

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