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L'on sait que les corporations romaines d'artisans étaient constituées sur un plan à peu près uniforme et qu'elles offraient en petit l'image de la capitale elle-même comme les colonies et les municipes. Indépendamment de leurs patrons ou protecteurs choisis dans leur sein ou parmi les hauts personnages de l'État, elles avaient leurs chefs dirigeants, syndici,magistri, quinquennales, représentant à peu près la curie et elles se subdivisaient en décuries comme la population des tribus. Le jus persona leur était reconnu et elles pouvaient ainsi posséder, hériter, aliéner et édicter sans l'intervention des pouvoirs publics toutes lois et tous règlements concernant leur gestion intérieure.

Les associations de nautes étaient organisées sur ces bases et exerçaient dans la plus large mesure cette autonomie. Leurs présidents portaient le titre de præfectus (1) et il semble qu'elles jouissaient d'une considération particulière parmi les différentes sociétés professionnelles en relations plus ou moins directes avec l'administration centrale. Ainsi les nautæ rhodanici étaient qualifiés de corpus splendidissimum, comme la curie; ils pouvaient rendre des décrets, comme les décurions (2), et quarante places leur étaient réservées dans l'amphithéâtre de Nîmes (3).

(1) Inscription n° XXXVI, p. 211 du recueil de M. A. de Boissieu. Lyon, 1846.

(2) Inscription n° XIX, p. 265 du même recueil.

(3) Inscription IV, p. 392 du même recueil.

Ces distinctions et privilèges se justifiaient sans doute par l'importance et l'utilité du concours que les collegia nautarum prêtaient à l'État dans la perception des impôts en nature; ils étaient chargés du transport et de la livraison des denrées et autres produits destinés aux entrepôts publics et ils accomplissaient ce service sous la surveillance des præfecti classium assistés eux-mêmes d'agents appelés annonarii riparii (1); ils remplissaient ainsi sur les fleuves et rivières les fonctions attribuées aux flottes de la Méditerranée et de l'Adriatique.

En dehors de cette coopération officielle, le nautes se livraient en toute indépendance aux entreprises commerciales.

Il ne paraît pas que cette institution, traitée pour ainsi dire à l'égal d'un ordre, fût contraire dans la pratique au principe de la liberté fluviale.

Tout marchand, industriel, propriétaire ou autre possédant des embarcations d'une certaine capacité, pouvait être admis parmi les nautes et participer aux avantages de l'association (2). L'on exigeait probablement des corporati ou des conducteurs et pilotes qu'ils employaient certaines conditions d'expérience, de moralité et d'instruction; mais ces garanties, bien loin de porter atteinte au droit public de naviguer, devaient en assurer la jouissance dans l'intérêt général. Aucune liberté

(1) Inscription IX, p. 397 du même recueil.

(2) M. J. Rabanis, Recherches sur les Dendrophores. Bordeaux, 1841, p. 44.

n'est absolue, dans quelque sphère d'activité extérieure qu'elle s'exerce et s'il en est une qui ne puisse se pratiquer sans restriction, c'est incontestablement celle qui préside à l'usage des eaux navigables. Le droit des gens moderne, après de longs siècles d'oppression, a proclamé l'affranchissement des fleuves internationaux, tout en les soumettant à une réglementation des plus strictes et, de nos jours encore, il n'est pas de gouvernement, si porté qu'il soit à favoriser le régime de la plus large concurrence, qui n'impose à tout navigateur l'épreuve d'un examen ou le contrôle d'une patente.

D'ailleurs, s'il était besoin d'un exemple pour démontrer que l'existence des collèges nautiques pouvait se concilier avec le caractère propre des eaux faisant partie du domaine public, l'on rappellerait que les associations batelières ont été reconnues par le congrès de Vienne, c'est-à-dire par l'assemblée européenne à laquelle l'on rapporte généralement le triomphe des libertés fluviales contemporaines (1).

(1) Art. XIV à XVII du mémoire de M. de Humboldt sur la convention rhénane de 1804, annexé au procès-verbal de la commission de navigation du 3 mars 1815. Art. 21 de l'acte additionnel sur le Rhin, joint au traité du 9 juin 1815.

Les expéditions fluviales avaient-elles lieu suivant un tour de rôle réglementaire ou le négociant pouvait-il librement choisir ses bateliers dans le personnel des nautes? Le prix du frêt dépendait-il des conventions des parties ou était-il fixé par la corporation elle-même? Existait-il un péage de navigation proprement dit ou l'État se contentait-il d'imposer la batellerie sou forme de corvées de transport? Toutes ces questions et bien

Lorsque les barbares survinrent, et durant leurs migrations successives et les diverses phases de leur établissement définitif, l'on vit disparaître peu à peu les derniers vestiges de l'activité qui régnait sur la plupart des grands fleuves d'Occident. Cette période de confusion, de violences et de stagnation commerciale se prolongea pendant plusieurs siècles.

Quelles furent alors les conditions légales des fleuves, des rivières? que resta-t-il sous la domination barbare du droit que le gouvernement des proconsuls avait maintenu sur cette portion du sol provincial? Questions oiseuses sans doute et qu'il serait d'ailleurs difficile d'éclaircir au milieu de l'obscurité profonde qui couvre les institutions de ces temps troublés. Il est vraisemblable que les eaux pérennes conservèrent leur caractère public; du moins aucun acte législatif connu n'indique un changement sur ce point (1).

Au moyen âge, le principe fondamental dont

d'autres relatives à l'exploitation fluviale, n'ont point encore été complètement élucidées; la monographie du régime de la navigation intérieure sous la domination de Rome est à faire. On pourrait très utilement consulter pour cette étude le chapitre aussi intéressant qu'instructif que M. de Boissieu a consacré aux nautæ rhodanici et ararici dans son ouvrage intitulé: « Inscriptions antiques de Lyon », 1854, gr. in-4°.

(1) L'établissement des barbares dans la Gaule ne supprima. rien de l'organisation romaine, ni l'administration, ni la législation, ni l'organisation judiciaire... Le droit romain et le droit barbare se maintinrent dans les mêmes contrées, se modifiant insensiblement par le contact, etc...

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Dalloz, Essai sur l'histoire générale du droit français, p. 64

s'était inspirée la jurisprudence romaine dans ses maximes relatives aux cours d'eau, subit de graves modifications aussi bien en France que dans les pays voisins soumis à l'empire de la féodalité. Les fleuves passèrent du domaine public dans le domaine du souverain qui en eut possession et saisine et y exerça sur toute leur étendue « jurisdiction, justice, seigneurie, cohertion et contrainte. (1)

(1) Plusieurs textes coutumiers qualifient les fleuves de propriétés royales. La coutume de Meaux dit ad art. 182 : « on tient que tous les fleuves navigables sont au roy, s'il n'y a seigneur qui ait titre particulier. »

Les lettres de Charles VI datées de Paris, 28 août 1388, portent notre procureur nous a exposé que jacoit ce que de tout et ancien temps, nous seul et nos prédécesseurs roys de France ayons droit, possession et saisine de toute la rivière du Rosne, etc. >>

Ce principe reçut plus tard une consécration plus formelle et plus générale. Ainsi une ordonnance royale de 1669 dit ad tit. 27, art. 41 : « Déclarons la propriété de tous les fleuves et rivières portant bateaux de leurs fonds, sans artifice et ouvrages de mains dans notre royaume et terres de notre obéissance, faire partie du domaine de la couronne, nonobstant tous titres et possessions contraires, sauf les droits de pêche, etc.»

Un édit d'avril 1683 ajoute : « Comme les grands fleuves et rivières navigables appartiennent en pleine propriété aux rois et aux souverains par le seul titre de leur souveraineté, tout ce qui se trouve renfermé dans leurs lits, comme les îles, péages, bacs, pêches, etc., nous appartiennent... mais comme ensuite des remontrances qui nous auraient été faites, nous aurions bien voulu nous relâcher quelque chose des droits que nous y avions par le titre de notre couronne en faveur de ceux qui en jouissent...confirmons en la propriété, possession et jouissance des îles, ilôts, attérissements, droits de pêche, etc., tous les propriétaires qui apporteront des titres de propriété authentiques, etc...»

Voir aussi la loi de l'empereur Frédéric Ier sur les droits régaliens qui s'appliquaient aux flumina navigabilia et ex quibus fiant navigabilia.

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