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Le commandant du génie avait ordonné de jeter de la terre sur les fascines enflammées pour étouffer les flammes. Les premiers coups de pioche en creusant le sol mirent à découvert un fil électrique qui communiquait avec la tour elle-même, que les Russes avaient minée. Les soldats s'emparent aussitôt de tous les outils qu'ils peuvent rencontrer : pelles, pioches, baïonnettes, tout est employé; car le danger de mort est imminent peut-être; et en quelques secondes une tranchée circulaire, creusée autour du kourgane, amène la découverte de deux autres fils destinés à faire sauter des magasins de poudre très-considérables, établis dans différentes parties de l'ouvrage. - L'artillerie enleva, les jours suivants, de Malakoff plus de 40 000 kilogrammes de poudre.

CXIII. — Avant la tombée de la nuit, le général Pélissier avait été prévenu par la frégate de grand'garde à l'entrée de la rade, qu'un mouvement inusité avait lieu sur le pont, dans le sens du sud au nord; un peu avant la nuit aussi, les mêmes avis lui étaient arrivés des avant-postes du général d'Aurelle, dont la division occupait les hauteurs d'Inkermann. Il était dès lors évident que tout était dit pour la ville de Sébastopol, et que l'ennemi, terrifié par la prise de Malakoff, nous abandonnait la position.

Le prince Gortschakoff, en effet, avait compris que toute la partie sud de la ville et toutes les défenses qui la protégeaient ne pouvaient plus être conservées.

Après l'honneur d'une longue et opiniâtre défense, il lui restait à conserver l'honneur de son armée, qui avait si vaillamment combattu, et à l'empêcher d'être enveloppée; il opérait en bon ordre sa retraite sur la partie nord (1).

Pendant toute la nuit, la destruction continua son œuvre. Des explosions continuelles se firent entendre, déployant sur le ciel obscur leurs gerbes enflammées, au milieu desquelles se heurtaient d'informes débris; et déjà des incendies, propagés dans plusieurs parties de la ville, venaient nous répéter que les Russes avaient abandonné Sébastopol (2).

(1) Journal des opérations militaires, transmis par l'aide de camp prince Gortschakoff.

« Le commandant en chef se porta à la deuxième ligne des retranchements devant le mamelon Malakoff, et voyant la hauteur occupée par de grandes masses de Français, en arrière desquelles se tenaient de puissantes réserves, se convainquit que la réoccupation du bastion Korniloff exigerait encore d'immenses sacrifices; comme il était déjà décidé à évacuer la ville, il prit la résolution de profiter de ce que l'assaut avait été repoussé sur tous les autres points et l'assaillant accablé de fatigue, pour exécuter sans obstacle cette opération de la plus grande difficulté. »

(2) Ordre du jour de l'empereur Alexandre, 11 septembre 1855.

« Il y a une impossibilité, même pour les héros. Le 8 de ce mois, après que six assauts désespérés eurent été repoussés, l'ennemi parvint à se rendre maître de l'important bastion de Korniloff, et le général en chef de l'armée de Crimée, voulant ménager le sang précieux de ses compagnons, qui, dans ces circonstances, n'aurait été répandu qu'inutilement, se décida à passer sur le côté nord de la forteresse, ne laissant à l'ennemi assiégeant que des ruines ensanglantées.

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Dans la nuit, une petite reconnaissance de la division Dulac, à laquelle s'étaient joints des officiers du génie, entra par le petit Redan, et pénétra jusqu'à la batterie de la Pointe; son rapport confirma les avis déjà donnés au général en chef. Toute la Karabelnaïa était évacuée, et quelques prisonniers, que cette reconnaissance ramena avec elle, assurèrent que l'armée russe était en pleine retraite.

« J'aurais voulu pousser en avant, écrivait au ministre de la guerre le général en chef, gagner le pont et fermer la retraite à l'ennemi; mais l'assiégé faisait à tout moment sauter ses défenses, ses magasins à poudre, ses édifices, ses établissements. Ces explosions nous auraient détruits en détail et rendaient cette pensée inexécutable. »

Les armées alliées attendirent que le jour se fit sur cette grande scène de désolation.

Peu à peu apparurent ces premières lueurs indécises qui parcourent vaguement le ciel, et éclairent d'une lumière naissante les horizons lointains, sans enlever encore entièrement à la nuit son voile sombre; à travers cette dernière obscurité et ces premières lueurs, la ville se dessinait déjà avec son aspect de mort. De toutes parts s'élançaient des flammes d'un rouge sanglant; l'on entendait s'effondrer les maisons et s'abattre les édifices. Spectacle horrible et superbe à la fois! dernière agonie de l'impuissance qui se jetait dans la destruction!

Ce n'était plus le combat, ce n'était plus la lutte; le

canon s'était tu d'une manière absolue, et chefs et soldats debout sur les tranchées assistaient à ce grand triomphe qu'ils avaient si chèrement payé.

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D'un côté la ville n'offrait plus qu'un monceau de flammes et de décombres; de l'autre on apercevait au loin les colonnes russes gravissant péniblement les pentes nord de la baie, où elles venaient chercher un refuge.

Les derniers vaisseaux russes, mouillés la veille dans la rade, étaient coulés et ne laissaient plus apparaître au-dessus de l'eau que l'extrémité de leurs hautes mâtures; le pont était replié; l'ennemi n'avait conservé que ses vapeurs, qui enlevaient les derniers fugitifs, et l'on voyait, courant par la ville à demi détruite, des soldats qui cherchaient encore à promener l'incendie au milieu des décombres fumants. Mais bientôt les derniers êtres animés disparurent, emportés sur la rive nord. — Sébastopol était entière

ment abandonné.

Enfin les armées alliées avaient atteint le but de tant de persévérants efforts! Un instant, le juste orgueil du triomphe fit taire la cruelle amertume des regrets, en face de tant de pertes douloureuses; mais, après avoir remercié le ciel et pensé à la patrie victorieuse, chacun jeta un triste regard sur les morts aimés qui jonchaient le sol, et qui avaient payé de leur généreuse vie cette grande et mémorable journée. Ils allaient

prendre place auprès de tant de héros, dont les ossements glorieux devaient rester sur le sol de la Crimée pour raconter aux âges futurs cette grande page de nos fastes militaires.

Nos pertes générales dans cette journée étaient de : 5 généraux tués, 4 blessés et 6 contusionnés; 24 officiers supérieurs tués, 20 blessés et 2 disparus; 116 officiers subalternes tués, 224 blessés, 8 disparus; 1489 sous-officiers et soldats tués, 4259 blessés et 1400 disparus. - Total 7551.

Que de noms aimés! que de grands cœurs! que de mâles courages ensevelis dans le glorieux linceul de la victoire!

Parmi les plus regrettables, était le jeune lieutenantcolonel Cassaigne, aide de camp du général en chef, et qu'un boulet avait emporté à la batterie Lancastre. Déjà son frère, capitaine de zouaves, avait succombé devant l'ennemi; les deux frères, un instant séparés, ne devaient pas tarder à se trouver réunis dans la tombe (1). Le colonel Adam, brave et énergique officier,

(1)

LE LIEUTENANT-COLONEL CASSAIGNE.

Né à Bayonne en 1817, il n'avait pas encore atteint sa 38° année, lorsque la mort vint l'enlever.

Elève à l'école spéciale militaire en 1835, il en sortit le 1er, comme numéro d'ordre en 1837. De là, il entra à l'école d'étatmajor en 1838 et s'y distingua tellement, que son souvenir y est resté comme celui du plus brillant des élèves de cette école. Lieutenant en 1840 et capitaine en 1843, il fut employé aux travaux topographiques en Algérie, et y passa de 1846 à 1854, faisant comme aide de camp du général Pélissier, les campagnes qui menèrent successivement le général dans toutes les provinces de l'Algérie. Il se

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