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comme les éclats d'un tonnerre lointain, ce formidable retentissement. Toutes les troupes étaient sous les armes, inquiètes, attentives; tous les regards étaient tournés vers Sébastopol. Bientôt des officiers qui avaient été envoyés à la batterie Lancastre donnèrent les premières nouvelles la blessure mortelle du général Mayran, la mort du général Brunet et l'insuccès des attaques de leurs divisions; puis, à tout ce bruit, à toute cette agitation, à cet écho retentissant du combat succéda un silence mortel. Ce silence serra tous les cœurs, car il disait que nous avions échoué. Le colonel de La Tour du Pin, qui servait en volontaire depuis le commencement de la campagne, et qui courait avec une ardeur insensée, mais avec un héroïque et chevaleresque courage partout où l'on combattait, vint raconter au corps d'observation les tristes détails de cette matinée fatale. Son émotion était si vive, qu'il pouvait à peine parler. C'était un jour d'insuccès, au milieu de bien des jours de victoire.

Le général Pélissier montra en cette occasion une grandeur d'âme et une sérénité qui arrêtèrent les découragements et ranimèrent les courages: il quitta la redoute Lancastre avec le même visage, que chacun lui avait vu après la journée du 7 juin, et les cœurs même les plus faciles au désenchantement ne purent désespérer du succès de nos armes, en face de tant de calme et d'une si noble tranquillité.

Le 20, le général Bosquet, rappelé au commandement

des attaques de droite, recevait du général en chef les instructions suivantes :

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«En vue de faire donner aux troupes, après la fatigue et les pertes qu'elles ont éprouvées, les soins qui leur sont nécessaires, il est indispensable de les replacer, autant que possible, sous le commandement de leur chef direct. J'ai décidé en conséquence que vous quitteriez aujourd'hui même votre position sur la Tchernaïa pour venir reprendre le commandement des opérations du siége aux attaques de droite; le général Regnaud de Saint-Jean-d'Angély rentrera, de son côté, à son ancien camp, près du grand quartier général, et il vous fera la remise du commandement à cinq heures du soir. Le général Herbillon, en sa qualité de plus ancien, prendra le commandement des troupes de la ligne de la Tchernaïa; à ce titre il entrera directement en relations avec moi pour tout ce qui aura trait aux opérations militaires; veuillez lui donner des instructions à ce sujet (1). »

LXXIV. — Ici, un événement qui a cruellement attristé les armées alliées nous arrête dans notre récit.

(1) Les troupes dont le général Bosquet devait disposer pour les attaques étaient les 3, 4 et 5e divisions du 2 corps, la 2e division du corps de réserve, plus 4 bataillons de la garde, se relevant, toutes les vingt-quatre heures, pour concourir au service des tranchées.

La journée du 18 juin avait produit dans l'esprit de lord Raglan une émotion profondément douloureuse qu'il ne chercha pas à dissimuler. Malgré toutes les appréhensions, malgré tous les obstacles et toutes les difficultés sans cesse surgissantes, il avait poussé à la continuation du siége direct; il s'était opposé de tout son pouvoir au projet d'investissement, et avait entraîné la démission volontaire du général Canrobert par son refus de coopérer à ce mouvement.

Si, dans les événements qui se passaient et dans ceux que l'avenir tenait en réserve, la responsabilité du général Pélissier était grande, celle de lord Raglan était plus grande encore peut-être; car elle avait précédé celle du nouveau général en chef de l'armée française. Le général anglais donna dans sa pensée une importance immense à ce revers passager de nos armes, et devant tant de sang répandu, devant les efforts brisés de ses héroïques soldats, le doute lui vint aussi, et avec ce doute une cruelle amertume qui serra son cœur navré; la måle tranquillité du général Pélissier, qu'il alla trouver à la batterie Lancastre, ne put effacer les douloureuses impressions qui s'étaient emparées de lui; il retourna silencieux et abattu vers son quartier général, dont il ne devait plus sortir que dans un cercueil.

En effet, dix jours après, c'est-à-dire le 28 juin, lord Raglan expira entre huit et neuf heures du soir.

Les personnes qui l'entouraient pensèrent que ces

tristes impressions avaient réagi sur sa santé, et donné une prise plus grande au cruel fléau qui déjà s'abattait sur les armées alliées, et avait emporté, quelques jours auparavant, le brave et regrettable major-général Estcourt (1). La mort de lord Raglan fut une perte réelle pour l'Angleterre; c'était un beau caractère, une de ces âmes vieillies dans la loyauté, qui honorent leur pays.

Le général James Simpson prit le commandement en chef, comme le plus ancien de grade des officiers présents à l'armée d'Orient. Une dépêche télégraphique du gouvernement anglais le confirma dans ce commandement.

Par une triste coïncidence, la mort avait frappé, en dehors des hasards redoutables de la guerre, les deux généraux en chef auxquels avaient été confiés, dès le principe, les destinées des deux armées. Le troisième, le prince Menschikoff, avait été contraint, par la maladie, de remettre son commandement.

Lorsque les restes mortels de lord Raglan quittèrent la terre de Crimée, pour être transportés à bord du vaisseau qui devait les ramener en Angleterre, ce fut

(1) Par une cruelle fatalité, l'officier supérieur français délégué auprès du chef de l'armée anglaise, le lieutenant-colonel Vico, qui avait rendu de si éminents services dans ces fonctions importantes, depuis le commencement de la campagne, succombait dix jours après sous les atteintes mortelles du choléra. En 24 heures, le fléau le prenait plein de vie et d'espérance pour le coucher dans la tombe. Il était né en 1813, en Corse, et avait commencé sa carrière militaire à l'école de Saint-Cyr. L'armée perdit en lui un bon officier, rempli de zèle, de dévouement et d'énergie.

une cérémonie triste et touchante, et chacun, parmi tous ces hommes si habitués au spectacle de la mort, vit passer avec un sentiment d'amertume et de profonde tristesse le corps inanimé du vieux général. Le cercueil recouvert du drapeau national était traîné par huit chevaux d'artillerie. - Aux quatre coins se tenaient à cheval les quatre généraux en chef des armées alliées, suivis de tous les généraux et de tous les officiers d'état-major, que leur service n'avait pas retenus loin de cette touchante cérémonie. Sur tout le parcours, le funèbre cortége défila entre deux haies de soldats, composées d'abord des Anglais, ensuite des troupes françaises. L'air national de l'Angleterre, God save the Queen, accompagna jusqu'au rivage l'ancien général en chef, comme un dernier souvenir de la patrie absente. Il semblait qu'une trève tacite eût été faite pendant ce triste moment entre les combattants; car l'on n'entendit pas retentir le canon de la ville assiégée. Fut-ce un hasard, fut-ce une courtoisie de la part de Hos ennemis?

LXXV.

CHAPITRE VI.

Les tristes souvenirs de la journée du 18 juin n'existent plus dans les cœurs le génie et l'artillerie travaillent avec une activité sans égale à la construction des batteries du Carénage, dont on espère un puissant effet pour gêner le ravitaillement de la place et

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