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Nous avons voulu retracer cette lutte héroïque et opiniâtre; car ce point fut le seul où, dans cette attaque du 18 juin, nos troupes pénétrèrent dans les retranchements ennemis. Tant de courage et de persistance valent bien une page : chacun de ces héros inconnus l'a payée de son sang (1).

LXXI. - Pendant que tous ces faits se passaient, le sous-lieutenant Potier, nous l'avons dit, avait pu rejoindre le général d'Autemarre.

Le commandant Garnier disait bien au général : « La position est périlleuse, il nous faut sans retard. des renforts; mais il lui disait aussi : « Nous avons » pénétré. »

Le général d'Autemarre envoie au général en chef un officier d'état-major, le capitaine Piquemal, lui demander des troupes.

Voici ce que venait lui dire cet officier: « Que, l'attaque des Anglais ne paraissant pas avoir réussi, il faisait connaître sa situation; il demandait que nos alliés recommençassent leur assaut contre le grand Redan, et qu'on lui envoyât quatre bataillons de troupes fraîches, presque toute sa division ayant déjà considérablement souffert. Le 74, qui n'avait pas été engagé, avait même, par le seul fait de sa position, essuyé de fortes pertes.»« Les troupes, ajoutait-il,

(1) Le 5 bataillon de chasseurs eut à lui seul 412 hommes hors de combat, et 18 officiers sur 20.

sont pleines d'ardeur, prêtes à reprendre l'attaque, et la journée est à peine commencée (1). »

Mais, à ce moment, de bien tristes rapports arrivaient de tous côtés au général en chef; le général d'Autemarre lui-même ne devait pas tarder à apprendre que sa tête de colonne, après avoir vaillamment combattu, avait été forcée d'abandonner tout le terrain conquis, et que les réserves immenses, maintenant accumulées par les Russes sur ce point, rendaient toute attaque nouvelle impossible.

A peine, au signal donné, les colonnes anglaises s'étaient-elles montrées hors des tranchées, qu'elles avaient été accueillies par un feu terrible de mitraille et de mousqueterie qui, dès le commencement, paralysa leur attaque; toutefois ces colonnes audacieuses tentèrent d'exécuter leur mouvement et de se porter contre le grand Redan, qu'elles devaient envahir sur trois points. -Leurs héroïques efforts ne purent surmonter ces obstacles de feu qui abattaient des bataillons entiers. Déjà sir John Campbell, chef cher à l'armée, était tombé mortellement frappé. Les colonels Shadfort et Yea avaient été tués, et près d'eux de nombreux officiers et d'intrépides soldats.

La division Mayran ralliait avec peine ses bataillons mutilés; et il était facile d'apprécier les efforts impuissants de la division Brunet.

(1) Ces paroles, telles que nous les transcrivons, nous ont été répétées par l'officier d'état-major envoyé au général en chef par le général d'Autemarre.

La situation était grave.

« C'est bien, répondit à l'officier envoyé par le général d'Autemarre le général en chef, profondément attristé par ces cruelles morts qu'on venait de lui apprendre; avant de recommencer l'attaque, il faut se compter. »

Mais les résolutions du général Pélissier sont rapidement prises (et d'ailleurs quel est le cœur humain qui laisse facilement s'enfuir une espérance?). Il envoya demander à lord Raglan de recommencer son attaque contre le grand Redan, pendant que nous-mêmes, nous reprendrions l'offensive; puis il donna ordre de faire avancer les zouaves de la garde, pour soutenir le général d'Autemarre.

LXXII. Ce fut un splendide et saisissant spectacle, lorsque l'on vit défiler devant la batterie Lancastre ces zouaves, leurs officiers en tête. Le soleil s'était levé et illuminait tout le terrain de ses rayons; à quelques pas plus loin bondissait la mitraille et mugissait le combat de ses voix terribles et furieuses. Ils marchaient à une mort certaine ; car si Dieu et nos vaillantes armes nous donnaient le succès, ce ne pouvait être qu'au prix de bien du sang répandu. Jamais plus de fierté, plus de calme, plus de mâle résolution ne furent empreints sur des visages de soldats; tous passaient la tête haute, les regards enflammés; et à mesure qu'ils atteignaient la batterie Lancastre, d'où le général en chef les regardait défiler, ils le saluaient de ce seul cri: Vive l'Empereur!...

Mais le général anglais Rose venait dire, que lord Raglan ne pensait pas que ses troupes pussent recommencer une attaque sur le Redan avec chance de succès.

La réponse du général en chef de l'armée anglaise était facile à prévoir; dans les conditions où l'on se trouvait, tout nouvel effort n'eût conduit qu'à une effusion de sang inutile.

« Le mouvement, écrit le général Pélissier, ne pouvait plus avoir l'ensemble désirable pour un coup de vigueur avec une seule division, sans appui, soit sur sa droite soit sur sa gauche, et labourée par l'artillerie du Redan, sur laquelle nos alliés suspendaient leur attaque. Je ne tardai pas à reconnaître que toute chance favorable était épuisée. L'ordre fut donné aux troupes de rentrer dans les tranchées et de reprendre leurs positions. Il était à ce moment huit heures et demie.

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C'était le premier échec qu'avaient éprouvé nos armes jusque-là victorieuses.

Combien de récriminations ne se sont pas élevées contre cette fatale entreprise qui coûtait un sang si noble et si précieux ! car il faut la gloire du triomphe et la joie du succès, pour ne pas jeter des regards trop amers autour de soi en voyant tant de places vides et tant de braves cœurs éteints. Le soir, les rapports marquaient 3338 hommes hors de combat ou disparus. Sur ce chiffre, 150 officiers (1).

(1) Détail des pertes de l'armée française dans la matinée du 18: 37 officiers tués, 17 disparus; 1544 sous-officiers et soldats tués ou disparus. 96 officiers et 1644 hommes entrés aux ambulances.

Le 7 juin, disait-on, on avait mécontenté la fortune en ne voulant pas prévoir le cas où, maître des positions, du mamelon Vert, on pourrait s'élancer avec des réserves sérieuses sur le réduit de Malakoff; le 18, on l'avait imprudemment tentée, et elle se vengeait par un refus.

Notre rôle ne nous permet pas d'entrer dans ces différentes appréciations, et d'en constater, ou d'en combattre la valeur.

Les Russes, toutefois, ne tentèrent même pas de profiter du succès de leur défense pour nous inquiéter sérieusement dans nos lignes avancées. Notre mouvement de retraite s'opéra paisiblement sur tous les points, et pendant la nuit les travaux du génie avancèrent avec audace.

LXXIII. Il est facile de comprendre quelle anxiété régnait parmi les troupes qui devaient opérer à l'extérieur.

La veille, le général Bosquet avait été informé du jour et de l'heure fixés pour l'attaque; il devait, d'après les instructions qu'il avait reçues, se tenir prêt à marcher selon les ordres qui lui parviendraient. Aussi toutes les dispositions furent prises dans la nuit; les cartouches furent comptées, et chaque homme reçut quatre journées de vivres.

Dès le point du jour la plaine de Balaclava retentit sous le fracas des feux redoublés de l'artillerie et de la mousqueterie, et les échos des ravins apportèrent,

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