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à cheval sur la route qu'elle a parcourue, cette armée est anéantie ou affamée. Et d'ailleurs il est un autre principe absolu, c'est qu'une marche de flanc n'est possible que loin de l'ennemi et à l'abri par des obstacles de terrain.

« L'armée qui opérerait d'Eupatoria à Simphéropol n'aurait donc ni ligne d'opération, ni flanquement assuré, ni retraite, ni champ de bataille favorable, ni moyen de se nourrir. Enfin cette armée d'opération, au lieu d'être compacte, composée de soldats d'une même nation commandés par un seul chef, serait formée en grande partie de Turcs, et comme on y adjoindrait quelques divisions alliées il n'y aurait ni unité, ni sécurité, ni confiance absolue.

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Si, au lieu d'aller sur Simphéropol, l'armée partant d'Eupatoria veut se diriger tout droit sur Sébastopol, il faut qu'elle recommence dans de mauvaises conditions la campagne que nous avons faite en débarquant en Crimée, il faut qu'elle enlève les formidables positions de l'Alma, de la Katcha, et du Belbeck. Cette entreprise est impossible, car elle serait désastreuse. De là, découle la nécessité absolue de ne laisser à Eupatoria que le nombre de Turcs strictement indispensable pour défendre la place. »

« Voici le plan que je voulais exécuter à la tête des braves troupes que vous avez commandées jusqu'ici, et c'est avec la plus profonde et la plus vive douleur que des intérêts plus graves me forcent à rester en Europe.

« NAPOLÉON. »

XXVIII. On le voit, ce projet dans lequel ressortaient les qualités d'un génie supérieur répondait d'avance à toutes les éventualités, pesait toutes les ressources, et d'un œil profond sondait tous les obstacles pour les déjouer et les briser; il prévoyait à la fois les chances heureuses et contraires et s'élevait jusqu'aux régions de la plus haute stratégie.

Si l'Empereur abandonnait avec douleur la pensée de son voyage en Crimée, ce fut avec une douleur bien profonde aussi et une infinie tristesse que l'armée, qui attendait l'arrivée de son souverain avec tant d'impatience et d'enthousiasme, apprit qu'il lui fallait renoncer à cet espoir.

Lorsque le commandant Favé apporta de Paris ces instructions, bien des événements s'étaient passés; et déjà, nous l'avons dit, entre les chefs des armées alliées se montrait le germe de tiraillements intérieurs et de dissentiments impossibles peut-être à éviter.

Ce plan d'opération allait être, selon les ordres de l'Empereur, communiqué aux généraux en chef; mais le général Canrobert, par un pressentiment qui ne devait pas tarder à se réaliser, ne se dissimulait pas les difficultés qui allaient surgir; aussi il écrivait dans une dépêche particulière :

« Les trois généraux en chef vont être appelés à prononcer l'offensive contre l'armée extérieure; leur objectif sera Simphéropol et Baktschi-Séraï; mais, dans ces graves circonstances, je ne puis m'empêcher de dé

plorer ici l'absence d'un généralissime, homme de haute autorité, de haute position et d'assez vieille expérience pour tout dominer. »

XXIX. Ce sera toujours dans les armées le point capital. Du manque d'unité dans le commandement en chef résultent toujours des lenteurs, des hésitations, des froissements.

Ce fut là, il ne faut pas se le dissimuler, le plus grand écueil contre lequel vint se heurter l'expédition de Crimée; cet écueil, il existait chaque jour, chaque heure; il créait des obstacles, amenait des retards, et jetait sur chaque pas de cette périlleuse entreprise d'inextricables difficultés.

Dieu seul, dans son infinie sagesse et dans sa science de toutes choses, peut savoir de quel poids eût pesé, dans la balance des événements, l'unité de commandement.

Lord Raglan avait une répugnance réelle pour le projet d'investissement à l'extérieur.

D'abord, de concert avec Omer-Pacha, il aurait désiré opérer par Eupatoria; mais les inconvénients de ce mouvement étaient si évidents, si incontestables et si sagement énumérés dans le plan de campagne, que les deux généraux alliés durent se rendre aux justes observations du général français.

Alors survint dans le conseil une nouvelle difficulté : la route d'Alouchta à Simphéropol paraissait trop en l'air à lord Raglan, celle de Baïdar à Baktschi-Séraï lui

semblait préférable; mais il était évident toutefois que lord Raglan cédait, de guerre lasse et sans conviction : aussi, à tout instant, et sur toutes les questions de détail, l'opposition tacite de sa pensée se traduisait à son insu.

Devant les hasards terribles et douteux d'un assaut général, devant la menace perpétuelle de la partie nord de la ville, que ne pouvaient envelopper nos attaques et qui nous échapperait toujours, le général Canrobert, après tant de croyances déçues et tant d'événements imprévus et contraires, attachait à l'opération projetée une importance si capitale pour le succès de la campagne, qu'il fit sans hésitation le sacrifice de sa personnalité à ce qu'il regardait comme le nœud de la situation.

Ici se retrouve encore la hauteur et la noblesse de caractère du général en chef. Pour arriver promptement à un résultat heureux, éloigner les difficultés, aplanir les obstacles, il proposa à lord Raglan de lui laisser en cette circonstance le commandement suprême, et pria avec instance Omer-Pacha d'agir comme lui, et d'accepter de son côté le commandement supérieur de lord Raglan.

Celui-ci fut un instant étonné de cette proposition, car il y avait là une abnégation à la chose publique, difficile souvent aux cœurs même les plus élevés. C'était, en outre, une lourde responsabilité dont le poids subit effrayait peut-être le général anglais. Il refusa d'abord, puis hésita, puis enfin accepta, et demanda

ensuite que les troupes françaises se chargeassent d'occuper et de défendre les tranchées anglaises.

Cette étrange proposition ne pouvait être acceptée. Le développement de nos lignes exigeait déjà, pour le service de chaque jour, de nombreuses troupes; et il n'était pas possible, sans de graves inconvénients et sans un accroissement fatal de pertes journalières, d'en augmenter le chiffre. Les tranchées anglaises ne pouvaient être occupées que par les Anglais. A chacun la responsabilité de son œuvre. -Le général refusa. Dès lors il n'y avait plus moyen de s'entendre. Deux conférences, dont la première avait duré près de sept heures, n'avaient pu vaincre les répugnances de lord Raglan.

Le premier coup porté aux relations d'entente cordiale qui jusque-là avaient toujours existé entre les deux généraux en chef, avait été le rappel de l'expédition de Kertch; le refus de lord Raglan de coopérer au plan d'attaque qui lui était proposé par le général Canrobert, fut le dernier.

Par suite de ce refus, la situation faite au général en chef de l'armée française devenait presque impossible vis-à-vis l'armée qu'il commandait et vis-à-vis le chef de l'armée alliée.

XXX. La résolution du général Canrobert en cette occurrence fut rapidement prise; car il la puisa dans les sentiments patriotiques d'un cœur élevé; il n'hésita pas à se sacrifier au bien public et à descendre volon

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